C’est un chœur de femmes contemporain, un gang de nanas intrépides, les cinq membres fondatrices du collectif #MeTooThéâtre s’emparent du plateau pour faire de leur militantisme contre les violences sexistes et sexuelles et le harcèlement dans le milieu du théâtre un spectacle plein d’humour et de panache. Leur cheval de bataille se mue en une performance aussi drôle qu’indignée. Les Histrioniques fabrique du faux avec du vrai pour mieux dénoncer librement et s’insurger contre un état de fait.
L’année 2025 sera féministe, sans aucun doute. Étalé sur plusieurs mois, le procès des viols de Mazan autour de l’affaire Pelicot s’est achevé le mois dernier par un verdict inégalé qui fera date dans l’histoire de la Justice, tandis que le procès de Christophe Ruggia, accusé d’agressions sexuelles sur mineure par Adèle Haenel, est une première dans le milieu du cinéma. Ce lundi 6 janvier, sur les ondes de France Inter, Vanessa Springora, l’autrice du Consentement – récit de sa relation sous l’emprise de l’écrivain Gabriel Matzneff –, était invitée pour la parution de son second livre, Patronyme. Il y a à peine une poignée de jours, Libération publiait une enquête signée Cassandre Leray au sujet des accusations de viol à l’encontre du comédien Philippe Caubère, livrant des témoignages sidérants et concordants. On pourrait continuer comme ça longtemps, tant la déflagration du mouvement #MeToo ne tarit pas. Au contraire, elle s’immisce dans tous les domaines, et semble charrier dans le sillon de la libération de la parole une vague insoupçonnée qui met en lumière ce qu’on ne peut plus nier et ce qu’on nomme désormais « la culture du viol », ou l’impunité ahurissante des agresseurs, la silenciation des victimes et une Justice à la traîne sur ces problématiques, reflet d’un patriarcat encore bien ancré.
Alors, quand la Justice peine à prendre le pli d’une société au visage nouveau, comment agir, faire bouger des fondamentaux délétères, prendre en main la masse de ces vécus épinglés sur l’autel de la domination masculine ? Autrices, cinéastes, actrices, metteuses en scène, dramaturges, elles sont nombreuses à avoir choisi la voie des mots, la voie de l’art, pour alerter, témoigner, dénoncer et analyser ces processus à l’œuvre dans nos sociétés dites civilisées : Virginie Despentes – la pionnière avec son manifeste coup de poing King Kong Théorie –, Judith Godrèche – avec sa série Icon of French Cinema et son court-métrage Moi aussi –, Judith Chemla – et son livre autobiographique Notre silence nous a laissées seules –, Hélène Devynck – avec Impunité au sujet de l’affaire PPDA –, pour ne citer que les plus médiatisées. Et maintenant, Les Histrioniques, imaginé par les femmes du collectif #MeTooThéâtre, qui déplacent leur action militante sur les planches. Pour ne pas laisser à la marge de leurs activités artistiques respectives leur engagement commun. Pour que les paroles recueillies depuis la constitution du collectif ne restent pas dans l’ombre. Pour que l’isolement ne soit plus possible. Pour que la honte et la peur changent de camp.
Au plateau, elles sont cinq à porter ce brûlot, qui a choisi l’humour comme moyen d’expression privilégié. Non pas pour se cacher derrière le rire qui met à distance, mais harponner des outils éminemment théâtraux est une façon moins frontale de faire passer un propos chargé. Le grotesque en est un ; le costume, et les métamorphoses qu’il permet, en est un autre ; le jeu sur les masques et les identités aussi. (Presque) aucun nom ne sera cité ici, mais pour qui a un pied dans le milieu, ou s’y intéresse de près, les allusions sont claires. Se pose alors la question de l’entre-soi, à laquelle il est difficile de répondre quand on n’est pas soi-même étranger à ce monde-là, mais on ose espérer que la dimension scénique et l’universalité des situations – malheureusement non cantonnées à la sphère théâtrale – englobent un public élargi. Pas uniquement acquis à la cause, pas uniquement du sérail. Pour entrer dans la proposition, nos cinq guerrières, en tenues portant haut la couleur, nous accueillent en ligne à l’avant-scène, masquées par d’ironiques lunettes de soleil de pacotille, dans une adresse directe au public. L’ambiance est posée à travers un face-à-face en forme de clin d’œil appuyé : « Tout ce qui sera raconté est vrai, mais rien n’a jamais eu de conséquences dans le réel réel ». Les actrices plantées là nous l’assurent toutes, sourire aux lèvres : « Nous n’avons rien à voir avec le collectif #MeTooThéâtre ». C’est un jeu de dupes qui s’amorce, en connivence complice avec un public réactif et jovial.
Maintenant que le contexte est planté, et qu’il désamorce avec une ironie joueuse toute identification plaquée entre les actrices au plateau et les militantes dans la vie, les choses sérieuses peuvent commencer. Et l’on entre dans cette fiction vraie par le fil Messenger du collectif : les échanges sont rapides, du tac au tac, les émoticônes pleuvent, et l’on est plongé dans l’immédiateté du flux de communication, dans le quotidien des membres du collectif depuis que les témoignages affluent. Stupeur et colère face à l’ampleur du phénomène, impuissance des victimes, violence des récits. En voici un d’ailleurs, un cas particulier qui ressemble à beaucoup d’autres : le viol d’une jeune actrice par son metteur en scène sur leur lieu de travail. Alternant ce dispositif frontal d’échanges vifs entre elles avec des scènes reconstituées, Louise Brzezowska-Dudek, Nadège Cathelineau, Marie Coquille-Chambel, Séphora Haymann et Julie Ménard n’installent jamais une forme figée, mais jouent d’un effet patchwork dynamisant sur un plateau qui se pare et se dépare de décors et d’accessoires – grâce à la présence avec elles de la scénographe-plasticienne Elizabeth Saint-Jalmes. Comme des enfants se confrontant à leur pire cauchemar, elles prennent un plaisir communicatif à incarner tour à tour la banalité de ces monstres tapis derrière leurs hautes fonctions, soufflant le chaud et le froid dans l’intimité de leurs bureaux, pratiquant la langue de bois avec maestria.
Si l’ensemble pêche parfois par un rythme encore inégal, qui ne demande qu’à se rôder, et un aspect décousu, qui fait aussi son charme, l’énergie est là, musclée, l’humour fait mouche dans la salle et certaines scènes, notamment les parodies hilarantes du metteur en scène éploré par une Nadège Cathelineau en pleine forme, touchent juste en traquant la faille : le prédateur est déboulonné de son piédestal par le ridicule, et la catharsis opère à plein régime. S’il nous réjouit dans sa dimension comique filée tout du long, le spectacle sait aussi assumer la gravité de son sujet, par exemple lorsque Marie Coquille-Chambel prend la parole sur sa propre histoire, droite et sobre, d’une dignité admirable. Les Histrioniques a le mérite de ne pas mâcher ses mots, de donner des chiffres et des clefs pour conscientiser un état de fait. Il met en jeu les différent.es acteur.ices de ces situations et la hiérarchisation à l’œuvre dans les rapports, le rôle des institutions, et dénonce un système juridique en faillite, les portes closes et les fausses promesses. Et, last but not least, il nous confronte aux difficultés du militantisme et s’offre, par le biais du théâtre, une vitrine exutoire.
En short de sport ou robe de sirène, notre gang de wonder women s’attaque franco à ce vieux monde rance qui pue la mauvaise foi, le mensonge et la manipulation comme mode opératoire systématique. Il porte haut la puissance résiliente des femmes et un avenir qui rebat les cartes. « Remettre le monde à l’endroit », disait la procureure Camille Poch lors du procès opposant Adèle Haenel à Christophe Ruggia. C’est ce que font avec panache nos cinq athlètes du collectif rebaptisé sur scène « Un trou dans la raquette ». En renversant la balance et en tournant en dérision le camp adverse, elles mettent à nu sa mécanique perverse et son schéma toxique pour mieux le dévitaliser. Le titre du spectacle nous mettait alors sur la voie. En usant d’un terme péjoratif utilisé pour décrédibiliser la parole des femmes – l’histrionisme décrivant une manifestation psycho-pathologique propre à la personnalité hystérique –, elles le détournent pour reprendre l’avantage. L’insulte devient leur étendard. Et leur action héroïque.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Les Histrioniques
de et avec Louise Brzezowska-Dudek, Nadège Cathelineau, Marie Coquille-Chambel, Séphora Haymann, Julie Ménard, Elizabeth Saint-Jalmes
Créatrices lumières Juliette Besançon, Pauline Guyonnet
Scénographe et plasticienne Elizabeth Saint-Jalmes
Créatrices sonores Elisa Monteil, Jehanne Cretin-Maitenaz
Régie générale Marion Koechlin
Régie lumière Hélène Le FrançoisProduction Compagnie La Fugitive
Coproduction Le Phénix de Valenciennes ; Le Vivat d’Armentières ; Le Quartz de Brest ; le théâtre de l’Étincelle de Rouen ; le Studio Théâtre de Stains ; le Tangram – Scène nationale d’Evreux
Avec l’aide de la DRAC Normandie, de la Région Normandie, du Ministère de la Culture Mission Diversité-Egalité, de HF+Normandie, de la Fondation Jan Michalski
Soutiens Théâtre 13, MPAA Paris, CentQuatre-Paris, Théâtre de la Bastille, CDN de Rouen, Dieppe Scène Nationale, compagnie AKTEDurée : 1h45
Théâtre de Belleville, Paris
du 5 au 28 janvier 2025Scène Nationale 61, Alençon
les 3 et 4 marsMPAA Saint-Germain, Paris
le 13 marsStudio Théâtre de Stains
le 11 avrilThéâtre de la Foudre, CDN de Normandie-Rouen, avec L’Étincelle
les 25 et 26 avrilLe Préau, CDN de Normandie-Vire, dans le cadre du festival À vif
du 15 au 20 mai
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