Frédéric Franck dévoile les coulisses de ses quatre saisons passées à la tête du Théâtre de l’Oeuvre. Il avait souhaité en faire un théâtre privé exigeant, ouvert aux grands textes, aux grands metteurs en scène et aux grands comédiens. Il a réussi son pari artistique, mais pas son pari financier, contraint de vendre le théâtre. Dans Journal d’un théâtre parisien: L’Œuvre (2012 – 2016), qui vient de paraitre aux éditions La voie lactée, il revient sur ces courtes années. Un livre qui nous fait pénétrer dans les coulisses croustillantes du monde du théâtre…
Ce Journal d’un théâtre parisien: L’Œuvre (2012 – 2016) est ce que l’on appelle un « beau livre », luxueux, lourd, avec une très belle iconographie (photos de Dunnara Meas), de ces livres que l’on feuillette sans jamais vraiment lire les textes en profondeur. C’est tout le contraire avec cet ouvrage, il faut prendre le temps de plonger dans les pages glacées qui révèlent la face cachée des quatre saisons de Frédéric Franck à la tête du théâtre de la cité Monthiers. Car Frédéric Franck dit toute la vérité, n’élude aucun de ses échecs, et dévoile l’intimité de certaines productions, au risque de s’attirer les foudres des comédiens et metteurs en scène qu’il égratigne quelque fois.
Lorsqu’il succède à Gérard Maro en 2012 à la tête du Théâtre de l’Œuvre , Frédéric Franck a de l’ambition pour ce théâtre fondé par le comédien Lugné-Poe (en 1893). L’homme déteste les étiquettes – théâtre public ou théâtre privé – il souhaite avant tout défendre un théâtre de qualité et intelligent. Il sent de bonnes ondes autour de lui. Luc Bondy alors fraichement nommé directeur de l’Odéon envisage de monter un Martin Crimp avec Eric Elmosnino, mais son entourage lui déconseille. « Il faudrait parler de cette censure là, la censure chic, bien pensante » écrit Frédéric Franck. Le premier spectacle de la saison 2012/2013, La Dernière bande avec Serge Merlin n’annonce rien de bon pour la suite. C’est un échec, heureusement compensé par la réussite de Voyage au bout de la nuit avec Jean-François Balmer qui dépassa la 100ème représentation malgré des échanges très tendus dans le montage de la production avec la directrice du Théâtre Les Géneaux, Françoise Letellier, productrice du spectacle. Frédéric Franck reproduit toute la correspondance par mail sur le montant de la location d’un vidéoprojecteur. C’est presque du Feydeau !
Frédéric Franck aime les acteurs. Il tente de les préparer « à jouer devant des salles vides » comme il le fait avec Ludmila Mikaël qui a accepté de relever le défi risqué de jouer dans la pièce de Jon Fosse Et jamais ne nous serons séparés dans la très belle mise en scène de Marc Paquien. Les rangs sont clairsemés. « Ludmila Mikaël en a souffert » explique Frédéric Franck . « Sur ce petit plateau tout se voit et tout fait sens » poursuit-il. Pendant ces années, il a noué de belles amitiés, notamment avec Michel Fau qui lui a offert de belles mises en scène et un très succès avec Un amour qui ne finit pas de Roussin, alors lorsque Catherine Frot renonce à jouer dans La Danse de la mort pour faire Fleur de Cactus, on le sent meurtri « Catherine et Michel (Fau) avaient donc choisi d’offrir un succès commercial gagné d’avance aux directeurs du Théâtre Antoine, Laurent Ruquier et Jean-Marc Dumontet. »
Le livre dévoile les états d’âme et les exigences des artistes. Valeria Bruni Tedeschi impose sa mère Marisa Borini dans Les larmes amères de Petra von Kant alors qu’elle n’était jamais montée sur une scène de théâtre. Il faut s’attarder sur les pages consacrées à Home, l’une des dernières productions de la saison 2015/2016 avec une très belle distribution mais des batailles en coulisses. « Carole Bouquet se révéla très fragile, profondément dépressive et une nuit se coupa ses cheveux à ras« . « Pierre Palmade replongea deux fois dans l’océan de ses addictions puis à chaque fois se reprit« . On sait tout des engueulades entre Gérard Desarthe et Pierre Palmade qui se fait porter pâle, certificat médial à l’appui et qui ensuite « vint avec un garde du corps en charge de sa protection car au cours de leur altercation Desarthe avait menacé de lui casser le gueule. » Le théâtre a été contraint d’annuler trois représentations. Et Pierre Palmade fit un chèque de 20 000 €.
Frédéric Franck en racontant ces moments privés ne minimise pas sa propre responsabilité dans l’échec de sa courte direction à l’Œuvre. Il publie les chiffres de toutes les productions avec le montant global du déficit d’exploitation sur quatre saisons: – 868 425 €. Seulement trois spectacles ont dégagé des bénéfices. Dispersion: + 4640 €, Un amour qui ne finit pas: + 94654 € et Qui a peur de Virginia Woolf: + 30603 €. Ce livre est aussi le très bel hommage d’un homme passionné pour les planches, avec de très beaux textes historiques, des biographies de tous les auteurs présentés pendant quatre ans et une très belle interview de Niels Arestrup. Un livre à dévorer !
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Journal d’un théâtre parisien : L’Œuvre (2002-2016), éditions La voie lactée, distribué par la Librairie théâtrale, 304 pages, relié, 29,6×36,8 cm, 42€.
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