Avec leur compagnie Balagan’retrouvé, Lionel González et Gina Calinoiu abordent les auteurs qu’ils se choisissent à travers un processus de laboratoire. Avec une liberté dont leurs Analphabètes, adaptation de Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman, rendent un peu trop timidement compte.
Si l’œuvre cinématographique de Bergman fait depuis longtemps l’objet d’adaptations théâtrales, le centième anniversaire de sa mort suscite une déferlante qui a débuté en début de saison. Et qui ne semble pas prête de s’arrêter. Avec Infidèles et Après la répétition, c’est tg Stan qui a ouvert les digues en septembre au Théâtre de la Bastille. Léonard Matton a pris la relève avec Face à face, aux Plateaux Sauvages puis au Théâtre de l’Atelier. Avant de laisser place à Julie Deliquet, dont le Fanny et Alexandre se joue en ce moment à la Comédie-Française, et à Analphabètes de la compagnie Balagan’retrouvé. Une adaptation de la fameuse série télévisée en six épisodes Scènes de la vie conjugale (1974), dont la même compagnie avait créé une première version en 2016 au Festival de Villerville, intitulée Demain tout sera fini II. Les Analphabètes est la suite de ce travail. Pas tout à fait la recréation, plutôt le fruit de l’évolution constante du Français Lionel González et la Roumaine Gina Calinoiu, qui en fondant leur compagnie ont voulu poursuivre l’expérience vécue ensemble lors d’un laboratoire dirigé autour de Pirandello dirigé par Anatoli Vassiliev.
Les deux comédiens sont seuls sur scène avec le musicien Thibault Perriard, que l’on a pu voir notamment dans plusieurs spectacles de la compagnie La vie brève de Jeanne Candel et Samuel Achache, avec qui Lionel González collabore aussi régulièrement. Tantôt assis côte à côte, tantôt séparés par le plateau que quelques chaises, une batterie et un piano désossé ne font que rendre plus vide, ils parlent un langage qui ressemble à celui de Bergman mais qui n’est pas tout à fait lui. Un langage aussi simple, aussi quotidien que celui de Johan (Erland Josephson) et Mariane (Liv Ullman), le couple central de Scènes de la vie conjugale, mais plus contemporain. Presque privé des nombreux dialogues qui, dans le film, ont trait à l’entourage familial et social des personnages, dont la forte empreinte protestante aurait pu faire barrage à la bonne réception de la pièce.
En s’en emparant, Balagan’retrouvé veut aller au cœur des œuvres. « Mais pas pour leur texte. Pas pour les mots qu’ils ont laissés sur le papier. Pas pour le visible mais pour l’invisible », disent Lionel González et Gina Calinoiu dans le dossier de présentation. Sans perdre de vue le scénario de Bergman, ils cherchent pour cela à offrir en partage des fragments d’un discours amoureux au présent. Le premier d’entre eux est prometteur. Au lieu de l’interview pour magazine people où Johan et Marianne étalent copieusement leur prétendu bonheur conjugal, les deux artistes optent pour une mise en abyme. C’est pour le bien commun, pour l’exemple, qu’ils ont accepté de livrer leur intimité sur un plateau, disent-ils aux spectateurs. Le travail de transposition est alors évident, de même que l’improvisation pratiquée par le duo de Balagan’retrouvé depuis Demain, tout sera fini I, libre adaptation du roman Le Joueur de Dostoïevski.
Les différentes scènes du film – à l’exception de celles qui font intervenir d’autres protagonistes, comme le couple d’amis Peter (Jan Malsmjo) et Katarina (Bibi Andersson), qui ont été supprimées – se succèdent ensuite sans atteindre la troublante puissance du film. Son ambiguïté de chaque mot, de chaque plan. Moins nuancé que celui de Bergman, dont même les phases les plus odieuses semblent souvent masquer une grande fragilité, le Johan de Lionel González laisse peu de place au doute. Les beaux tremblements de Gina Calinoiu, sa parole toute accidentée qui porte la trace du processus de travail, ne font pas le poids. Dans Les Analphabètes, la chute de Johan et Marianne, puis leur relèvement, apparaissent ainsi comme une trajectoire prévue d’avance. Comme un jeu de forces inégales, où la transcendance omniprésente chez Bergman est en plus assez maladroitement suggérée. Entre autres, par la présence du musicien, dont les belles harmonies entrent peu en dialogue avec les mots et les gestes des comédiens. À la prochaine, Bergman.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Les Analphabètes
Librement inspiré de Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman
Un spectacle du Balagan’retrouvé
Avec : Gina Calinoiu, Lionel González, Thibault Perriard
Collaboration artistique : Marion Bois
Scénographie : Lisa Navarro
Lumière : Fabrice Ollivier
Costumes : Élisabeth Cerqueira
Production ! Le Balagan’retrouvé.En partenariat avec le Théâtre National Marin Sorescu de Craiova (Roumanie).
Avec le soutien du Théâtre des Bains-Douches – Le Havre ; du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis et de La vie brève dans le cadre de sa résidence au Pavillon de l’Indochine – Jardin d’agronomie tropicale avec la Ville de Paris.
Remerciements : Odéon – Théâtre de l’Europe ; Carole et François de la Porte ; Mayo Carrus et Baptiste Zentz.
Durée: 2h30 avec entracte
Théâtre Gérard Philippe – Centre dramatique national de Saint-Denis
Du 8 au 24 février 2019
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