Photo Valentine Chauvin
Au Théâtre 13, le jeune auteur et metteur en scène, membre de la troupe du NTP, présente les trois premiers épisodes de sa série théâtrale Huit rois, consacrée aux différents présidents de la Ve République.
Léo Cohen-Paperman est un homme serein, mais pressé. En cette fin de saison plus politique que jamais, le jeune metteur en scène se déplace par monts et par vaux pour être sur tous les fronts à la fois, et ne cesse de changer de casquette. Alors qu’il s’apprête à reprendre, au Théâtre 13, en pleine campagne électorale pour les législatives surprises des 30 juin et 7 juillet, les trois premiers épisodes de sa série Huit rois – La vie et la mort de J. Chirac, roi de Français ; Génération Mitterrand ; Le dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing –, consacrée aux différents présidents de la Ve République, de De Gaulle à Macron, l’artiste vient de boucler une première salve de répétitions avec la troupe du Nouveau Théâtre Populaire (NTP). En août prochain, à l’occasion de son festival annuel organisé à Fontaine-Guérin, le collectif proposera une audacieuse plongée dans La Comédie humaine de Balzac, et plus spécifiquement dans Splendeurs et misères des courtisanes et Illusions perdues, dont Léo Cohen-Paperman assure la mise en scène. Ce grand écart, réalisé en seulement quelques jours, reflète parfaitement l’amplitude de l’éventail théâtral sur lequel l’artiste ne cesse depuis plusieurs années de se déplacer, tantôt au contact des grands textes, tantôt en face-à-face avec des figures contemporaines, tantôt la tête dans la fiction, tantôt les deux pieds dans le réel, parfois à l’écriture et le plus souvent à la direction, avec le « théâtre populaire » comme boussole.
Pour éviter le claquage, le trentenaire, fils d’un père journaliste et d’une mère professeure de sociologie, peut compter sur des fidèles qu’il connait depuis plus de vingt ans et qui lui ont transmis le virus des planches. « J’ai rencontré Lola Lucas, Lazare Herson-Macarel et Clovis Fouin à l’âge de 14 ans, lors de nos années collège, à Paris, raconte-t-il. Si je n’avais pas croisé leur route, je n’aurais sans doute jamais fait de théâtre car c’est avant tout parce que je voulais rester avec eux que je me suis lancé. » Une fois soudée, la petite troupe se précipite, à 16 ans seulement, dans le chaudron du Off d’Avignon ; puis, deux ans plus tard, Léo Cohen-Paperman fait la connaissance du comédien Julien Campani avec qui il a, depuis, pris l’habitude de co-écrire ses spectacles. Assistant d’Olivier Py, puis de Jean-Pierre Garnier, le jeune homme fonde rapidement sa compagnie, Les Animaux en Paradis, puis se forme sur le tas au contact d’œuvres d’Andersen, de Daudet ou de Dostoïevski, avant de se lancer dans une année de formation à la mise en scène au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD), où il travaille sous la direction de Sandy Ouvrier, Pierre Debauche et Daniel Mesguich. À l’issue, il entame un compagnonnage de deux ans avec la metteuse en scène Christine Berg qui, assure-t-il, lui « a appris à diriger une compagnie ».
De 700 à 10 000 spectateurs
En parallèle de cette échappée solitaire, l’artiste mène une aventure plus collective, celle du Nouveau Théâtre Populaire. « À l’époque, nous avions 21 ans et nous commencions à entrevoir le cadre restreint que le milieu du théâtre souhaitait nous imposer : faire des spectacles jeune public avec deux interprètes au plateau, se souvient-il. Or, nous souhaitions plutôt nous mesurer à des grands textes et les porter avec une troupe nombreuse. Lazare Herson-Macarel a alors demandé à sa grand-mère de nous accueillir dans le jardin de sa maison de Fontaine-Guérin et nous y avons bâti une scène. La première année, en 2009, nous avons réuni 700 spectateurs ; et quinze ans plus tard, nous en sommes à plus de 10 000. » Un succès qui a tout d’une prouesse dans ce village maino-ligérien de mille habitants, surtout quand le programme alterne des auteurs aussi exigeants que Claudel, Kleist, Hugo, Büchner ou Sophocle, sans oublier les incontournables Molière, Shakespeare ou encore Feydeau.
Sous-tendue par un manifeste qui édicte neuf principes « très simples » – tels que « Tous les membres de la troupe peuvent être metteurs en scène », « Chaque spectacle est répété en treize jours » ou « Nous jouons quoi qu’il arrive, sous la pluie ou sous les étoiles » –, cette longévité repose, selon Léo Cohen-Paperman, sur deux piliers : la possibilité pour chaque membre de la troupe de « faire autre chose dans l’année » et « la liberté donnée à chacune et à chacun de s’exprimer selon ses différences, qu’elles soient politiques ou esthétiques ». Surtout, le collectif qui a pu, en s’exilant des métropoles, « développer son geste à l’abri du qu’en dira-t-on », parait toujours soudé par son pari originel, par cette alliance entre théâtre populaire et œuvres exigeantes. « En étant nés à la fin des années 1980, nous avons naturellement intégré que la société était fracturée ; or, nous pensons que le théâtre peut être un lieu qui rassemble. Notre idée est de montrer à toutes et tous que nous vivons avec une base commune, qu’elle soit nichée dans des classiques ou dans des figures historiques, comme celles que je mets en jeu dans Huit rois. »
Macron en son binaural
Preuve de la perméabilité entre le NTP et son aventure en solo, l’idée de cette série théâtrale a germé à l’occasion de la création du Jour de gloire est arrivé, né en 2015 à Fontaine-Guérin. « Ce spectacle a agi un peu comme une révélation sur la représentation par le théâtre populaire de figures de l’histoire commune. En m’inspirant, très modestement, de Shakespeare qui, lui aussi, écrivait sur les politiques de son temps, j’ai proposé à Julien Campani d’imaginer Vie et mort de J. Chirac, roi des Français et, pendant les répétitions, l’idée de la série sur l’ensemble des présidents de la Ve République est arrivée », souligne Léo Cohen-Paperman. « Soulagé » de pouvoir travailler sur un projet de moyen-long terme, le jeune homme se lance alors un défi : « Aucun épisode ne devra esthétiquement ressembler à un autre, ce qui est particulièrement compliqué quand un metteur en scène unique est à la barre ».
Tandis que Chirac flirte du côté de « la comédie méta-théâtrale et onirique », que Mitterrand est le centre de gravité d’un « drame familial » et que Giscard s’impose en tête de turc d’un « vaudeville avec un décor digne d’Au théâtre ce soir », le prochain épisode associera Nicolas Sarkozy en « acteur de one man show » et François Hollande en « clown beckettien » ; le suivant combinera un « opéra gaulliste qui se casse la gueule » et une partie pompidolienne « plus documentaire » ; et le dernier, espéré au début de l’année 2027, prendra la forme d’un « spectacle en son binaural » entièrement consacré à Emmanuel Macron. En 2058, dans un monde où la France n’existerait plus, le président de la République, réélu pour un nouveau mandat écourté entre 2037 et 2040, serait devenu un romancier à succès. Une logique d’anticipation qui permettra sans doute à Léo Cohen-Paperman d’éviter de tomber dans l’écueil politico-politique auquel il a, jusqu’ici, toujours su échapper. « L’objectif, pour moi, n’est pas de faire une série de spectacles militants, mais d’engager une discussion intime avec le public, de lui transmettre quelque chose d’une histoire commune et de voir comment elle peut résonner en lui, de chercher les bases du rassemblement plutôt que les ferments de la division. » En ces temps troublés, la démarche est on-ne-peut-plus salutaire.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Huit rois (nos présidents) : La vie et la mort de J. Chirac, roi des Français ; Génération Mitterrand ; Le dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing
Textes Julien Campani, Léo Cohen-Paperman et Emilien Diard-Detoeuf
Avec Léonard Bourgeois-Tacquet, Pauline Bolcatto, Julien Campani, Philippe Canales, Robin Causse, Clovis Fouin, Joseph Fourez, Mathieu Metral, Morgane Nairaud, Hélène Rencurel, Lisa Spurio et Gaia Singer
Lumières Léa Maris, Pablo Roy
Création sonore Lucas Lelièvre
Assistanat mise en scène Esther Moreira, Gaia Singer
Scénographie Anne-Sophie Grac, Henri Leutner
Costumes Manon Naudet
Maquillage et coiffure Pauline Bry, Djiola Méhée
Régie générale Thomas Mousseau-FernandezThéâtre 13, Paris
du 13 au 29 juin
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