Au Théâtre de la Bastille, le collectif flamand regroupe deux textes, l’un de Jon Fosse, l’autre de Marius von Mayenburg, pour forger Quoi/Maintenant. Scandaleusement corrosive, la satire politique et sociale du dramaturge allemand profite de leur aisance de jeu.
Il fallait bien tout le talent et le culot de tg STAN pour oser combiner Jon Fosse et Marius von Mayenburg, atteler la métaphysique du premier et l’univers caustique du second. Sans les fusionner, Quoi/Maintenant leur distribue les rôles : à Dors mon petit enfant le prologue d’une petite quinzaine de minutes, à Pièce en plastique la part du lion. Le texte du dramaturge norvégien est, sans surprise, aussi abstrait – le « Quoi » – que celui de son homologue allemand est ancré dans la réalité – le « Maintenant ».
A priori sans rapport direct, l’évanescence du questionnement existentiel de Jon Fosse agit comme un sas de préparation à la violente satire sociale et politique concoctée par le jeune écrivain associé à la Schaubühne. En le décalant à la force du jeu, tg STAN révèle le potentiel quasi-comique de ces trois personnages. Perdus dans un endroit inconnu, ils s’interrogent sur leur être, leur sort et leur devenir, à coups de phrases tronquées qui en disent davantage sur leurs immédiates sensations que sur leur raison.
Et puis, sans transition, débarquent Ulrike, Michael et leur fils Vincent. Libéraux de gauche, dotés d’une bonne conscience sociétale et écologique, ils décident d’embaucher une femme de ménage, Jessica, qui va tournebouler leur quotidien et mettre à l’épreuve leurs convictions. Dans les rapports qu’ils entretiennent avec elle, filtre leur mépris de classe. Exhumés par une série de maladresses, leurs actes trahissent le fond de leur pensée. A leurs yeux « simple femme de ménage », Jessica serait forcément tentée par le vol, hasardeuse sur son hygiène, nulle en mathématiques ou intéressée par de vieux habits dont ils ne veulent plus
La saillie contre ces convictions d’apparat est d’autant plus violente qu’elles s’attaquent à l’attitude de ces « bobos », empreinte de faux-semblants et d’absence de franchise qui creusent leur tombe. Face à leurs louvoiements stériles, le personnage de Jessica affiche toute son entièreté, un décalage qui accentue la blessure dramaturgique et la cruauté théâtrale du texte de Mayenburg. Le dramaturge allemand ne s’arrête d’ailleurs pas là et fait feu de tout bois : avec la figure de l’artiste conceptuel Haulupa, personnage scandaleux par essence, il donne des coups de boutoir dans la vacuité d’un certain art contemporain qui passe plus de temps à se regarder penser qu’à réellement créer.
Régulièrement drôles, parfois franchement hilarantes, les situations scéniques de Pièce en plastique profitent de l’aisance du tg STAN, capable de rendre naturel tout ce qu’il prononce, de faire passer pour de l’improvisation ce qui est en fait scrupuleusement écrit. Capable, aussi, de naviguer d’un registre intensément comique à une densité plus dramatique, de révéler les failles d’une famille où, sous le vernis social, couve un profond mal-être, une déliquescence à retardement. Nonobstant quelques hésitations textuelles qui se règleront avec le temps, le collectif flamand prouve qu’il se situe toujours parmi les premiers de cordée de la scène théâtrale.
QUOI / MAINTENANT
Spectacle de tg STAN D’après Dors mon petit enfant de Jon Fosse (traduit par Terje Sinding) en prologue à la pièce Stück Plastik (Pièce en plastique) de Marius von Mayenburg (traduit par Mathilde Sobottke) Lumières Thomas Walgrave
De et avec Jolente De Keersmaeker, Els Dottermans, Damiaan De Schrijver et Frank Vercruyssen
Costumes An D’Huys Technique Tom Van Aken, Iwan Van Vlierberghe et Tim WoutersProduction tg STAN Remerciements à l’équipe du Monty, Joris Festjens et Guy Peeters Avec le soutien de la Communauté Flamande tg STAN est compagnie associée au théâtre Garonne – Scène européenne – Toulouse
L’Arche est éditeur et agent théâtral des textes représentés www.arche-editeur.com
Durée : 2 hThéâtre de la Bastille
23 janv. > 2 fév 2018
21h
5 > 9 fév. 20h
relâche les dimanches et le samedi 3 fév.
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