En ouverture du Festival d’Aix-en-Provence, Romeo Castellucci et Raphaël Pichon réinventent génialement le Requiem de Mozart. Convaincus de sa portée théâtrale, ils en font la mémoire vivante des grandes disparitions dans le monde et placent au cœur de sa représentation la danse et l’enfance comme sources de régénérescence.
Le geste est fort. Si le divin Mozart est à Aix comme chez lui, ce n’est pas avec l’un de ses célèbres opéras que Pierre Audi a choisi d’inaugurer sa première édition à la tête du festival lyrique, mais avec son ultime composition laissée inachevée. Donné au Théâtre de l’Archevêché, le Requiem trouve une forme scénique tout à fait originale et à contre-pied de ce à quoi on pouvait s’attendre. A l’origine, dans la liturgie catholique, le Requiem est une messe pour les morts. Mais Romeo Castellucci, féru de récits bibliques mais bien peu adepte de discours univoques, veut le prendre à rebours. Il en extrait des tableaux pleins de vie, de mouvements joyeux et de jets de couleurs arc-en-ciel qui se répandent et gouttelent comme sur un tableau de Twombly.
Très adepte de dichotomies, le metteur en scène joue sur les oppositions et les ambivalences. Le noir funèbre, qui teinte le plateau endeuillé lorsqu’une vielle femme attend la mort en fumant sa dernière cigarette devant son écran de télévision puis disparaît sous les draps de son lit, cédera vite la place à un espace d’un éclat immaculé. Cette lande désertique est éminemment propice aux visions et projections bienheureuses de l’artiste italien. La blancheur marmoréenne nouvellement apparue évoque un Parnasse éternel bientôt recouvert de terre régénérante et d’arbres verdoyants. Même menacée, cette nature matricielle accueillera la fête et le bonheur.
C’est ainsi que Castellucci fait du Requiem un rituel qui n’a rien de pompeux et d’exagérément lacrymal, mais qui est emprunt d’une douceur inattendue, d’un fort élan vital qui se traduit par une allégresse et une candeur enjouées tout à fait étonnantes.
Castellucci revient à Mozart après une décevante Flûte enchantée réduite pour moitié à un ballet baroquisant purement décoratif. Ici, la danse occupe aussi une large place, mais elle n’est pas gratuite. Des ribambelles de choristes vêtus de tuniques chamarrées s’adonnent à de joyeuses rondes, agitent des foulards, des couronnes de fleurs, des drapeaux, forment un manège. Ce folklore, certes d’un kitsch un peu risible, conjurent avec vitalité la catastrophe qui menace et la disparition des richesses éphémères dont regorge le monde. Le Requiem de Castellucci ouvre L’Atlas des grandes extinctions dont les noms savants défilent sur le mur du fond de scène et ainsi catalogue les peuples, espèces, lieux, langues, œuvres à jamais enfouis dans la mémoire éternelle.
La mort est bien présente à travers le motif totémique d’une carcasse de voiture accidentée, des giclées de sang, la vulnérable nudité d’individus devenus naufragés ou déportés errants, ou enfin dans l’image spectaculaire d’une scène renversée qui charrie les éléments et s’apparente à une géante fosse commune. Mais c’est la vie qui triomphe. Tous ses âges sont d’ailleurs personnifiés. Une fillette est peinturlurée de la tête aux pieds, un jeune garçon au chant splendide joue au football avec un crâne. Enfin, c’est la présence insolite et bouleversante d’un bébé de quelques mois seulement étendu sur le plateau avec quelques jouets qui conclue une représentation pleine de surprises et d’intensité.
Ce Requiem cyclique et contemplatif est évidemment porté avec majesté par la musique. Raphaël Pichon a augmenté la partition de chants grégoriens d’une puissante solennité et de raretés du jeune Mozart. Le chef dirige superbement son propre ensemble Pygmalion, plein de ferveur, d’apaisement, de souplesse et de virtuosité. Il va chercher à alléger la couleur sombre et austère de la partition pour lui conférer magnifiquement une éloquente tendresse et une douce luminosité. Les quatre solistes réunis mais surtout le Chœur – acteur principal de cette production – sont remarquables de bout en bout. Toutes les forces en présence font de ce Requiem une vibrante célébration de la condition humaine.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le Requiem de Mozart
Direction musicale Raphaël Pichon
Mise en scène, scénographie, costumes, lumière Romeo Castellucci
Collaboratrice à la mise en scène et aux costumes Silvia Costa
Dramaturgie Piersandra di Matteo
Soprano Siobhan Stagg
Alto Sara Mingardo
Ténor Martin Mitterrutzner
Basse Luca Tittoto
Chœur et orchestre Ensemble PygmalionNouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence
Durée : 1h45
Festival d’Aix-en-Provence
3, 5, 8, 10, 13, 16, 18, 19 juillet 2019
Théâtre de l’Archevêché
Retransmission en direct sur Arte et en léger différé sur concert.arte.tv/fr le 10 juillet.
Un enchantement du début à la fin, Ce requiem est d’une beauté époustouflante !!! j’ai chanté ce Requiem en chorale mais cette chorégraphie m’a fait vivre une immersion de Beauté, bien réconfortante, et toucher le fond et la profondeur de la vie qui s’en va et qui revient. Grand-mère et arrière Grand-mère de 82 ans, mais seule… et ne pouvoir partager. Mon souhait pouvoir le découvrir en DVD.
Une découverte émouvante de ce requiem interprété et dansé d’une façon plus qu’originale.
Je suis certaine que Mozart aurait approuvé et applaudit cette vision de sa dernière œuvre.