Clément Hervieu-Léger est quasiment parti d’une feuille vierge pour mettre en scène cette pièce oubliée du répertoire. La beauté de la scénographie signée Eric Ruf et les personnages guignolesques font oublier un texte qui a tendance à s’étirer.
Entre Les Damnés et bientôt La Règle du jeu, deux pièces d’après des scénarios de films et avant un nouveau texte de Pascal Rambert, il fallait bien que la Comédie-Française se replonge dans le patrimoine théâtral français. C’est chose faite avec ce Petit-Maître corrigé de Marivaux. Eric Ruf, l’Administrateur, a proposé à Clément Hervieu-Léger de monter cette œuvre du répertoire classique totalement inconnue puisqu’elle n’a été jouée que deux fois à sa création en 1734. Marivaux y brocarde avec facétie la noblesse des villes qui se rend à la campagne pour célébrer un mariage. Les nobles citadins sont dépeints comme de funestes personnages, hautains et méprisants vis à vis de la bourgeoisie des campagnes. On imagine les réactions dans la salle lors la première le 6 novembre 1734 au théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain.
Comme cette pièce n’est connue, Clément Hervieu-Léger a souhaité la représenter dans la France du 18ème. On la regarde comme une rivalité Paris/Province. Les lois de la décentralisation de 1982 ne sont pas encore passées par là, on ne parle pas encore de Régions. Le propos de la pièce de Marivaux -qui n’est certes pas politique- met en exergue ce clivage toujours d’actualité. Mais Clément Hervieu-Léger ne nous plonge pas tout à fait dans le 18ème siècle car la scénographie d’Eric Ruf met de la distance et ouvre cette focale qui nous permet de regarder la pièce comme un document de l’histoire. Sur le plateau nu de la salle Richelieu, où l’on peut voir les décors rangés des autres productions, il a créé un morceau de lande escarpée et « met la scène à la campagne » comme le conseille une didascalie de Marivaux. Cette petite dune composée d’herbes folles -et fabriquée dans les ateliers de la Comédie-Française- est magnifique, bucolique et très réaliste. Elle est rehaussée par des toiles peintes -inspirées du paysagiste Hubert Robert (1733 -1808)- qui montent et descendent des cintres et laissent toujours le plateau ouvert sur les coulisses pour bien nous rappeler que nous sommes au théâtre.
Il faut beaucoup d’ardeur et d’énergie aux comédiens pour dérouler l’histoire à rebondissements de ce Rosimond (Loïc Corbery), petit bourgeois citadin qui ne sait pas sur quel pied aimer. Ses indécisions nous ont un peu tapé sur le système ! Il se fait prier pour épouser Hortense (Claire de la Rüe du Can), tenté un temps par la mature Dorimène (virevoltante Florence Viala). Mais Clément Hervieu-Léger s’acquitte fort bien de ce texte qui tourne en rond ; il donne de la profondeur et du caractère aux personnages. Christophe Montenez, Frontin le valet de Rosimond, est exquis avec son phrasé précieux des beaux quartiers. Loïc Corbery fait penser à Tom Hulce, l’Amadeus de Miloš Forman, ridicule lorsqu’il se tord les pieds en descendant la dune et ricanant nerveusement dès qu’une brindille lui touche le corps. Les parents (Dominique Blanc et Didier Sandre) sont plus sobres et raisonnés. Le talent de la troupe compense un texte qui tire en longueur. Et la musique originale de Pascal Sangla donne à cette production un parfum très bucolique.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Le Petit-Maître corrigé
de Marivaux
Mise en scène Clément Hervieu-Léger
Florence Viala : Dorimène
Loïc Corbery : Rosimond, fils de la marquise
Adeline d’Hermy : Marton, suivante d’Hortense
Pierre Hancisse : Dorante, ami de Rosimond
Claire de La Rüe du Can : Hortense, fille du comte
Didier Sandre : le Comte, père d’Hortense
Christophe Montenez : Frontin, valet de Rosimond
Dominique Blanc : la Marquise
Comédiens de l’Académie :
La suivante de Dorimène : Ji Su Seong
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Scénographie : Éric Ruf
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumières : Bertrand Couderc
Musique originale : Pascal Sangla
Son : Jean-Luc Ristord
Maquillages et coiffures : David Carvalho Nunes
Collaboration artistique : Frédérique Plain
Durée: 2hSalle Richelieu de la Comedie-Française
Du 3 décembre 2016 au 26 avril 2017
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