A La Villette, la jeune metteure en scène soumet les personnages de Molière à une analyse approfondie qui, si elle se révèle parfois trop didactique dans sa concrétisation, ne laisse pas indifférent dans son principe.
Le Misanthrope de Maxime Chazalet n’est assurément pas comme les autres. De la célèbre pièce de Molière, la jeune metteure en scène n’a pas voulu livrer, comme tant de ses homologues, une adaptation en bonne et due forme. Au lieu de simplement regarder les personnages vivre et se débattre au gré d’actions dessinées par la plume de leur dramaturge, elle a cherché à disséquer leur pensée, à entrer dans leur esprit pour analyser leur goût ou leur détestation pour le monde, à entretenir un rapport quasi dialectique avec eux pour s’intéresser à ce qu’ils sont et ainsi mieux comprendre ce qu’ils font. De cette méthodologie théâtrale hautement singulière, naît un spectacle qui l’est au moins tout autant, et fait d’Alceste, Célimène et consorts une cohorte au mal de vivre et d’être au monde quasi tchekhovien.
Pour mener à bien ce projet risqué et prendre le temps d’écouter ce que chacun à dire, Maxime Chazalet a opéré – au grand dam de certains puristes – de larges coupes dans le texte d’origine. En ressort un Misanthrope à l’os, augmenté par des fragments du premier chapitre de La Confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset et d’une lettre que le jeune Hölderlin adressait à la fin du XVIIIe siècle à son ami Neuffer en guise de prologue et d’épilogue. Ainsi mise en relief, la pièce de Molière n’est plus seulement une dénonciation par la bande de cette hypocrisie qui gangrène la cour du Roi. Elle devient une tentative de se sortir d’un ordre ancien où la jeunesse est en proie à la désespérance et au vide existentiel – tel que le décrit Musset – et d’inventer, dans un élan idéaliste – comparable à celui d’Hölderlin qui, malgré les échecs, continue d’y croire : « Je sais bien que je ne suis rien encore et que peut-être je ne serai jamais rien. Mais est-ce une raison pour perdre confiance ? Est-ce une raison pour croire que ma confiance n’est qu’illusion et vanité ? Je ne sais pas. » –, d’autres rapports humains pour aboutir à une société nouvelle.
Cette lecture aux enjeux éminemment contemporains se double d’une mise en scène qui dynamite les codes du répertoire. Comme soumis à un interrogatoire en règle, les comédiens, habillés en tenue de ville, s’entraident pour se confier au lieu de s’invectiver, et se parlent moins qu’ils ne multiplient les adresses aux spectateurs, régulièrement pris à partie et amalgamés pour constituer ce tout uniforme qu’Alceste rejette en bloc. Parce ce qu’elle s’intéresse plus au contenu qu’au contenant, Maxime Chazalet conserve la langue de Molière, mais déconstruit sa métrique et lui impose son propre rythme, souvent lent et appuyé, à la manière – mais sans les fantasques excès – de Marie-José Malis dont elle a été l’élève, la comédienne (Hypérion, The end of reality) et la protégée. A sa troupe, la metteure en scène n’a pas demandé de jouer, mais de vivre les tirades. Dans cette pièce où la fausseté règne sans partage, elle a fait le pari paradoxal de la sincérité. Pour cela, les comédiens ont été contraints, encore plus qu’à l’accoutumée, de s’approprier l’oeuvre, d’en comprendre les lignes de force sous-jacentes pour les restituer le plus fidèlement et littéralement possible.
Ce parti-pris, qui nécessite un temps d’adaptation tant il peut décontenancer, a un avantage, celui de la clarté et de la limpidité. Il a aussi un défaut, celui du didactisme et de l’approche quasi universitaire qui conduit à l’explication de texte un peu scolaire. A l’avenant, Maxime Chazalet a cru bon, dans sa direction d’acteurs, de souligner tout ce qui se dit par une gestuelle particulièrement marquée qui, à trop illustrer, en devient lourde et superfétatoire. Surtout, elle s’oppose curieusement à cette recherche première de sincérité et prend le risque d’une théâtralité qui peut confiner à la préciosité, à l’artificialité, voire à une certaine prétention. Pour autant, les comédiens – Raphaëlle Grélin et Hugo Eymard en tête – parviennent à offrir aux personnages de Molière, et notamment à Célimène et Alceste, une authenticité qu’on leur méconnaissait, et à alimenter une dynamique qui, par son étrangeté même, ne laisse pas indifférent.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Misanthrope ou la conquête du courage
D’après Le Misanthrope de Molière et autres textes
Mise en scène Maxime Chazalet
Avec Louise Brinon, Lili Dupuis, Hugo Eymard, Raphaëlle Grélin, Camille Duquesne, Justin Jaricot
Création lumières Louise Brinon
Régie Sarah MarcotteProduction déléguée La Commune CDN d’Aubervilliers
Avec le soutien du CENTQUATRE-PARISDurée : 1h50
Grande Halle de la Villette, Paris
du 25 au 29 février 2020
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