Photo Mario Del Curto
Dans une esthétique à mi-chemin entre les arts premiers et le rococo des palais royaux, le metteur en scène colombien reconstitue le mythe de cette mortelle devenue déesse. Scéniquement ingénieuse, sa proposition dynamise un texte à l’intérêt élimé.
Ils sont là, les premiers hommes. Réunis autour d’un feu, sommairement habillés, ils s’apprêtent à entendre, et à jouer, une histoire, comme il s’en contait sans doute dans des temps immémoriaux. A peine les trois coups frappés à l’aide du brigadier, les voilà pris dans un immense tourbillon scénique qui les conduira sur des rivages mythologiques, au cœur de l’histoire de Psyché. Aux origines de cette fable, se trouve un courroux, celui de la déesse Vénus, vexée d’avoir été éclipsée aux yeux de ses fidèles par la plastique avantageuse de la belle mortelle auprès de qui tout le monde se presse. Elle charge alors son fils Cupidon de la venger, mais le dieu de l’Amour succombe aux charmes de la jeune femme et l’épouse en secret. Intriguée par le mystère qui entoure l’identité de son époux, Psyché s’échine à découvrir la vérité, quitte à mettre en péril son fastueux et divin quotidien.
De l’antique Apulée (Métamorphoses) aux classiques Molière, Corneille et Lully (Psyché), en passant par Calderón (Ni Amor se libra de Amor), le poète Giambattista Basile (Le Conte des contes) et quelques librettistes italiens, ce mythe fécond a traversé toute l’histoire littéraire et inspiré moult œuvres, où Omar Porras est allé piocher pour en faire son propre miel. Surtout inspirée par la tragédie-ballet du trio français, sa composition, aiguisée par un regard décalé, prend la mythologie à revers et cherche à dépoussiérer un texte à la musicalité évidente, mais à l’intérêt émoussé par le temps, qui n’a rien à voir avec la fulgurance du Misanthrope, de Dom Juan ou encore du Tartuffe. Sans l’audace du metteur en scène colombien, il y a fort à parier que tout l’édifice, et le public avec, sombrerait dans un ennui profond, surtout perceptible dans les deux premiers actes où l’œuvre s’égaille dans des dialogues à l’effet souvent léthargique.
Sauf qu’Omar Porras ne s’est pas laissé piéger. Épaulé par une équipe d’orfèvres – Fredy Porras à la scénographie, Mathias Roche aux lumières, Elise Vuitel aux costumes, Véronique Soulier-Nguyen aux maquillages, perruques et masques -, il a construit un écrin poétique à la croisée des cultures. Le mystère des masques empruntés aux arts premiers y côtoie le rococo tout en dorures des palais royaux, pendant que Cupidon prend des airs de Louis XIV – commanditaire de la pièce de Molière – et le gardien de la fontaine de jouvence des allures de dragon oriental. Avec un goût affirmé pour l’artisanat théâtral, il affine les moindres détails et ose transformer la scène en un lieu de fête où les feux d’artifice sont tirés à gogo.
Surtout, les subtiles variations dans les modes de récit – tantôt incarné, tantôt conté en front de scène sur le mode de la confidence – impriment un rythme naturel et relancent en permanence le spectacle. La troupe du Teatro Malandro n’a alors plus qu’à suivre et alimenter cette cadence endiablée. Receleurs d’un jeu teinté d’ironie, ils imposent à la pièce une lecture matinée de second degré, qui en fait tout le sel et l’humour, notamment lors du pas de deux orchestré par Jonathan Diggelmann et Philippe Gouin, truculents en Aglaure et Cidippe, les deux sœurs acariâtres de Psyché. Il en fallait assurément autant pour tenter de redonner à la partition de Molière son éclat d’antan.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Amour et Psyché
d’après Molière
Mise en scène Omar Porras
Avec Yves Adam, Jonathan Diggelmann, Karl Eberhard, Philippe Gouin, Maëlla Jan, Jeanne Pasquier, Emmanuelle Ricci, Juliette VernereyAdaptation Marco Sabbatini, Omar Porras et Odile Cornuz
Assistante à la mise en scène Odile Cornuz
Scénographie Fredy Porras
Création lumières Mathias Roche
Directeur technique Gabriel Sklenar
Création et univers sonore Emmanuel Nappey
Costumes Elise Vuitel assistée de Cécile Revaz
Maquillages, perruques et masques Véronique Soulier-Nguyen
Accessoires et effets spéciaux Laurent Boulanger assisté de Noëlle Choquard et Yvan SchlatterProduction et production déléguée TKM Théâtre Kléber-Méleau, Renens
Coproduction Théâtre de Carouge – Atelier de Genève ; Châteauvallon, Scène Nationale
Avec le soutien du Canton de Vaud ; de la Ville de Lausanne ; de la Ville de Renens et des autres communes de l’Ouest lausannois ; de la Loterie Romande Vaudoise ; de la Fondation Sandoz ; de la Fondation Leenaards et de Pour-cent culturel Migros
Remerciements à la Fondation Leenaards pour son soutien particulier à cette création
Spectacle créé au TKM Théâtre Kléber-Méleau, Renens le 14 mars 2017Durée : 1h30
Théâtre 71, Scène Nationale de Malakoff
Du 9 au 18 avril 2019L’Olivier, Istres
Les 23 et 24 avrilThéâtre de Carouge – Atelier de Genève
Du 30 avril au 17 maiTnBA, Bordeaux
Du 22 au 25 mai
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