Le Munstrum Théâtre s’empare très librement de Macbeth. Peuplée de créatures hybrides et monstrueuses devenues la marque de fabrique de la compagnie, cette version de la célèbre pièce de Shakespeare ploie sous les effets. Elle pâtit aussi d’une tentative appuyée de construire un univers grotesque à partir de la tragédie originale.
L’image qui ouvre le Makbeth du Munstrum Théâtre est aussi prophétique concernant l’avenir du spectacle que le sont les sorcières introduisant le Macbeth de Shakespeare quant au destin du héros éponyme. Dans une brume épaisse régulièrement alimentée par d’invisibles, mais puissantes machines à fumée, on distingue une silhouette plantée à l’envers, la tête enfouie dans un monticule et les jambes figées en un éloquent ciseau. L’image évoque bien sûr les ravages de la guerre qui fait rage dans l’Écosse médiévale où s’ancre la tragédie réputée la plus sombre du dramaturge anglais. On peut aussi y voir le signe d’un rapport à la parole quelque peu compliqué : la bouche pleine de terre, l’homme maintenu dans un équilibre contre-nature serait bien en peine de prononcer le moindre mot. On ne s’en étonne guère de la part du Munstrum Théâtre, qui s’illustre depuis sa fondation en 2012 par Louis Arene et Lionel Lingelser par sa capacité à développer un théâtre très visuel et physique, où le masque tient une place centrale. Ce n’est pas par sa langue ni pour elle que la compagnie aborde Shakespeare, mais plutôt pour la violence, pour le chaos qu’y fait régner son protagoniste principal par goût immodéré du pouvoir. Les premières phrases – « 6, 5, 4, 3, 2, 1, 0… On a perdu la guerre » – mettent d’ailleurs un certain temps à arriver. Prononcés non par les sorcières évoquées plus tôt, qui font partie des créatures éliminées par le Munstrum, mais par un roi Duncan des plus marionnettiques avec son gros ventre de mousse, son porte-manteau en guise de sceptre et son masque joufflu, ces mots apparaissent comme dévitalisés par la scène de guerre qui les précède.
Ce champ de bataille est une première pour le Munstrum. Depuis L’Ascension de Jipé (2014), la compagnie avait pris l’habitude de construire ses spectacles sur des bases post-apocalyptiques qui lui allaient fort bien. Dans Clownstrum (2018), par exemple, conçu pour se jouer dans tous types de lieux non théâtraux, trois clowns se battaient pour le pouvoir dans un monde dévasté par une catastrophe dont on pouvait seulement deviner la nature à partir de quelques traces. Dans l’excellent 40° sous zéro, qui a beaucoup contribué à sa réputation – créé en 2019, il a connu une longue tournée jusqu’en 2024 –, la compagnie rassemblait deux pièces de Copi en déployant une esthétique baroque, mais essentiellement constituée de matériaux pauvres, dont les détournements et les incessantes transformations étaient au cœur de la quête de « rire, de surprise et de jubilation » qui côtoie toujours chez le Munstrum une exploration de la violence et de la domination. Plus encore que la présence d’une scène de combat, c’est la manière dont Louis Arene, Lionel Lingelser et leur vaste équipe la représentent qui surprend ici. Accompagnés à la dramaturgie par Kevin Keiss, l’un de leurs nombreux complices de longue date, ainsi que par trois scénographes (Mathilde Coudière Kayadjanian, Adèle Hamelin et Valentin Paul), deux créateurs lumière (Jérémie Papin et Victor Arancio) ou encore un technicien en charge de la fumée et des accessoires (Laurent Boulanger), c’est un affrontement très cinématographique et réaliste que donnent à voir les deux têtes de proue de la vaste embarcation qu’est devenue au fil des années le Munstrum Théâtre.
Avec bombardements, courses d’hommes en armures et force giclées de sang, cette lutte initiale étonne par son classicisme, peu coutumier chez les artistes qui revendiquent un rapport puissant à l’étrange. On sent ainsi d’emblée que l’imaginaire du Munstrum peine à prendre racine au pays de Shakespeare, et inversement. Au lieu de se dissiper en même temps que les brumes guerrières, cette difficulté se confirme lorsque les protagonistes se dessinent ainsi que leurs desseins. Alors que Copi inspirait aux artistes l’invention d’êtres hybrides fascinants dans leurs métamorphoses multiples, autant qu’en chacun de leurs états successifs, Shakespeare leur fait engendrer des monstres pour la plupart beaucoup plus plats. Macbeth en incarne le prototype le plus répandu dans le spectacle. Vêtu d’habits issus d’un imaginaire médiéval volontiers fantasmé de Colombe Lauriot Prévost – assistée de Thelma Di Marco Bourgeon et Florian Emma –, le crâne lisse comme un œuf et le visage recouvert d’un masque qui, en gommant ses expressions, l’éloigne de l’apparence humaine, le héros se situe dans un entre-deux qui n’est pas celui du trouble, mais du compromis. Les quelques transformations qu’il subit au long de son parcours meurtrier sont du même acabit, et rares sont celles et ceux qui l’entourent à faire preuve de davantage d’originalité. On reconnaît en eux très clairement la patte « Munstrum », mais peu de ces nouvelles explorations qu’aurait pu susciter la confrontation à Macbeth. Hormis les jupons et autres objets qu’elle enfile parfois en guise de robe – une tente Quechua, par exemple –, Lady Macbeth ressemble à s’y méprendre à son mari. Ce qui donne lieu à quelques scènes d’embrassades, exemple de l’une des libertés assez peu fécondes que prend la compagnie avec son modèle.
Dans ce Makbeth, l’hémoglobine qui jaillit de partout, la lumière qui n’est jamais à court d’effets, le son qui gronde et la musique à fond contribuent à ce que chacun soit au mieux une sorte de variation de son voisin. Nous sommes alors loin de l’art de la friction que pratiquait le Munstrum dans le très queer 40° sous zéro, où, dans le prolongement de l’esprit de l’auteur argentin, les artistes n’avaient de cesse de proposer des façons toujours nouvelles et surprenantes d’opposer le féminin au masculin, la vie à la mort ou le grotesque au sublime. De ce dernier couple, c’est très nettement le premier terme qui domine dans la pièce de Shakespeare « munstrumisée ». Le texte d’origine comportant bien moins de quoi déclencher le rire que d’autres textes du même auteur, la compagnie a dû non seulement faire emprunter la voie du clown au roi et à son épouse sanguinaire, à leurs généraux de guerre ainsi qu’à leurs rivaux, mais aussi leur adjoindre quelques nouveautés de leur cru. Un fou du roi en tutu, sans cesse pirouettant, se voit ainsi confier la plupart des crimes de Macbeth. L’adaptation très libre que livre Lucas Samain, en collaboration avec Louis Arene, de la « pièce écossaise » la malmène aussi volontiers pour la tirer vers la comédie, et ce de bien des manières : par des coupes très nombreuses ainsi que par des ajouts, ou encore par des dialogues ultra-contemporains cohabitant avec des passages plus fidèles. Sans parvenir à lui donner la profondeur nécessaire à la méditation sur le pouvoir auquel la compagnie prétend.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Makbeth
d’après Macbeth de Shakespeare
Mise en scène Louis Arene
Conception Louis Arene, Lionel Lingelser
Avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Lionel Lingelser, Anthony Martine, François Praud, Erwan Tarlet
Traduction et adaptation Lucas Samain, en collaboration avec Louis Arene
Collaboration à la mise en scène Alexandre Éthève
Chorégraphie Yotam Peled
Dramaturgie Kevin Keiss
Assistanat à la mise en scène Maëliss Le Bricon
Scénographie Louis Arene, Mathilde Coudière Kayadjanian, Adèle Hamelin, Valentin Paul
Création lumière Victor Arancio, Jérémie Papin
Musique originale et création sonore Ludovic Enderlen, Jean Thévenin
Costumes Colombe Lauriot Prévost
Assistanat costumes Thelma Di Marco Bourgeon, Florian Emma
Masques Louis Arene
Coiffes Véronique Soulier Nguyen
Direction technique, construction, figuration Valentin Paul
Effets de fumée et accessoires Laurent Boulanger
Accessoires, prothèses et marionnettes Céline Broudin, Louise Digard, Amina Rezig
Renforts accessoires et costumes Marion Renard, Ivan Terpigorev, Agnès Zins stagiaires costumes Angèle Glise, Morgane Pegon, Elsa Potiron, Manon Surat, Agnès Zins
Stagiaires lumière Tom Cantrel, Gabrielle Fuchs
Fabrication costumes avec le soutien de l’atelier des Célestins, Théâtre de Lyon
Régie générale et plateau Valentin Paul
Régie son Ludovic Enderlen
Régie lumière Victor Arancio
Régie costumes et habillage Audrey Walbott
Régie plateau Amina RezigProduction Munstrum Théâtre
Coproduction Les Célestins – Théâtre de Lyon ; Théâtre Public de Montreuil – Centre dramatique national ; TJP – CDN Strasbourg-Grand Est ; La Comédie de Reims – CDN ; La Filature – Scène nationale de Mulhouse ; Châteauvallon-Liberté – Scène nationale ; Les Quinconces – LʼEspal – Scène nationale Le Mans ; Théâtre Dijon Bourgogne – CDN ; Théâtre Varia – Bruxelles ; Malakoff – Scène nationale ; Le Carreau – Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan
Avec le soutien de la DRAC Grand Est – ministère de la culture au titre du Fonds de production et de la S.A.S. Podiatech – Sidas, du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT, de la Ville de Mulhouse
Résidences Le Théâtre Dromesko, le Melting Pot, le Bercail, Cromot maison d’artistes et de production, La Maison des métallos, le Théâtre du Rond-Point – ParisLe Munstrum Théâtre est associé à La Filature – Scène nationale de Mulhouse ainsi qu’au Théâtre Public de Montreuil – CDN, du TJP – CDN Strasbourg- Grand Est et Les Célestins – Théâtre de Lyon. La compagnie est conventionnée par la DRAC Grand Est et la Région Grand Est. Elle est soutenue au fonctionnement par la Ville de Mulhouse.
Durée : 2h15
Vu en avril 2025 aux Célestins, Théâtre de Lyon
Théâtre Public de Montreuil, CDN
du 29 avril au 15 maiLa Filature, Scène nationale de Mulhouse
les 22 et 23 maiThéâtre du Nord, CDN Lille-Tourcoing-Hauts de France
du 10 au 13 juinMalakoff, Scène nationale
du 5 au 7 novembreThéâtre Varia, Bruxelles
du 12 au 14 novembreThéâtre du Rond-Point, Paris
du 20 novembre au 13 décembreLe Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’est mosellan
les 5 et 6 mars 2026MC2: Grenoble
les 11 et 12 mars
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