Mathieu Bauer, Marion Stenton, Sylvain Cartigny et les jeunes comédiens issus de la promotion sortante du TNS, le groupe 46, plongent dans les arcanes d’une vaste administration inspirée de Kafka où règnent l’absurde et l’affolement.
« Le monde est un théâtre et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs » écrivait Shakespeare ; cela se vérifie sans peine chez Kafka qui, dans le dernier chapitre de son roman L’Amérique, met en scène une foule de badauds hagards, drôles et touchants paumés, désorientés, embauchés par le Grand Théâtre de l’Oklahoma où ils font leurs entrées et leurs sorties et jouent quantité de rôles.
Sur le plateau où Mathieu Bauer adapte et réinvente l’intrigue, ils sont accueillis par une réceptionniste un peu rêveuse et complètement dépassée, puis embarquée par une cheffe du personnel aux allures de guide-conférencière qui assure la visite des locaux mais sait aussi bien faire l’horoscope et la météo. Il y a de la place pour tout le monde et tous deviennent les employés d’une machine infernale qui ne cesse d’exhiber sa folle démence. Avec ingéniosité, les comédiens occupent ce vaste chaos représenté comme une banale salle d’attente où tous attendent, non sans frénésie, oscillant entre nervosité et torpeur lunaire sur des chaises en plastique. L’espace s’apparente aussi à une piste de cirque ou une scène de cabaret et donne lieu à de fameux numéros voire même à un mini-opéra lorsqu’une soprane passe du monodrame au téléphone (évoquant sous la forme du pastiche Poulenc et sa Voix humaine) à la publicité pour la soupe truc-truc. C’est toute une galerie de personnages étranges et toqués qui se présente à l’occasion de saynètes animées jusqu’à l’étourdissement et au cours desquelles tout vrille, se délite, à l’envi.
Les méandres de la folie humaine occupaient déjà le centre du propos de Shock Corridor, le film de Samuel Fuller sorti en 1963 qu’avait adapté Mathieu Bauer pour le groupe 42 de l’École du Théâtre national de Strasbourg et qui prenait pour cadre un asile d’aliénés. Le metteur en scène et musicien accompagne cette fois le groupe 46, et met à profit les talents de l’ensemble des artistes issus de toutes les sections dernièrement diplômés au service de l’univers loufoque et oppressant de Kafka. En adoptant une esthétique très seventies mais en offrant également quelques francs échos à l’époque contemporaine, Donnez-moi une raison de vous croire est un spectacle choral et musical qui, dans une agitation et une confusion assumées, met en évidence toute la bizarrerie d’un système social et bureaucratique dépourvu de sens.
La musique, fiévreuse et frénétique, aux accents jazz, occupe comme toujours chez Mathieu Bauer un rôle central dans la représentation. Saturante au point de parfois étouffer le texte, trépidante dans ses rythmes endiablés, elle retranscrit le chaos effréné mais paradoxalement ralentit un spectacle qui ici et là à tendance à piétiner. Pris dans une sorte de tourbillon, les jeunes interprètes semblent en orbite d’un délire qui risquerait de les happer et freiner leur formidable élan. Il n’en est presque rien. Débordante d’énergie et d’endurance, la troupe porte haut les figures de laissés-pour-compte qui cherchent à trouver un sens à leur existence et réclament le droit au rêve, à l’accomplissement.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Donnez-moi une raison de vous croire
Avec les acteurs et actrices du Groupe 46 de l’École du TNS :
Carla Audebaud, celle dont le frère a détruit les papiers, celle qui se fait engager µ
Yann Del Puppo, le premier employé
Quentin Ehret, celui qui saigne du nez, celui qui a perdu son manteau
Kadir Ersoy, celui qui se fait engager comme portier
Gulliver Hecq, celui qui savait tout jouer, l’acteur suicidaire, l’homme bon qui a tout perdu
Simon Jacquard, celui qui voulait bien rester debout, celui qui devient acteur, celui dont le dossier a été perdu
Émilie Lehuraux, la cheffe du personnel
Aurore Levy, celle qui a inventé une soupe, celle qui compose de la musique électronique, la photographe
Joséphine Linel-Delmas, celle qui va manger une araignée
Pauline Vallé, celle qui accueille, celle qui rêve d’être chanteuse
Cindy Vincent, l’Amérindienne, celle qui aide à remplir les papiers
Sefa Yeboah, celui qui se gèle, celui qui a perdu l’usage de ses mainset les musiciens Sylvain Cartigny (guitare, claviers), Mathieu Bauer (batterie et trompette), Jessica Maneveau (euphonium), Antoine Hespel (claviers), Ninon Le Chevalier (saxophone alto), Thomas Cany (trombone), Antoine Pusch (Thérémine et orgue), Foucault de Malet (Basse)
mise en scène Mathieu Bauer
texte et dramaturgie Marion Stenton
collaboration artistique et composition Sylvain Cartigny
création sonore Jean-Philippe Gross
regard chorégraphique Thierry Thieû Niang
assistanat à la mise en scène Antoine Hespel
scénographie, costumes Clara Hubert, Ninon Le Chevalier, Dimitri Lenin
création lumière Zoé Robert
régie lumière Thomas Cany
création son Foucault De Malet
régie son Margault Willkomm
régie plateau Antoine Pusch
régie générale Jessica Maneveauproduction Théâtre national de Strasbourg
production exécutive de la tournée Compagnie Tendres Bourreaux – Mathieu BauerLe décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du Théâtre National de Strasbourg
Toutes les équipes du Théâtre national de Strasbourg et de l’École du Théâtre national de Strasbourg
ont accompagné l’ensemble du GroupeDurée : 2h15
Du 23 septembre au 1er octobre 2022
Théâtre National de Strasbourg
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