François Orsoni retrouve l’auteur et illustrateur Chen Jiang Hong pour une nouvelle collaboration scénique de toute beauté. En adaptant son album autobiographique, “Mao et moi” sous le titre Le petit garde rouge, le metteur en scène passe un cap dans la portée de son geste théâtral.
On avait découvert avec émerveillement leur fructueuse collaboration lors de Contes Chinois, leur précédente création. Le metteur en scène François Orsoni a le chic pour adapter à la scène les albums jeunesse signés Chen Jiang Hong et leurs retrouvailles ont, pour cette deuxième expérience, un goût d’intimité mêlé au parfum de la grande Histoire, ce qui leur donne une portée autrement plus large. Car en jetant son dévolu sur Mao et moi, récit autobiographique de l’auteur-illustrateur, la présence au plateau de celui-ci n’en est que plus signifiante et émouvante.
Nous sommes dans les années 60 en Chine. Chen Jiang Hong n’est encore qu’un enfant lorsque s’abat sur le pays la Révolution Culturelle en même temps que le culte imposé du président Mao. Son quotidien et sa vie de famille s’en trouvent profondément bouleversés. Elaboré à partir de ses souvenirs, Chen Jiang Hong raconte sa propre histoire, en choisissant de se mettre à hauteur d’enfant, l’enfant qu’il était à l’époque mais aussi ceux auxquels s’adresse son livre puisqu’il est devenu depuis un célèbre auteur jeunesse publié à L’Ecole des Loisirs, référence en la matière. “Lian”, “Le Démon de la forêt”, “Le Prince Tigre”…, ses albums ont la côte auprès des jeunes et des parents. Et son trait, reconnaissable entre tous, allie le plaisir du dessin à celui de la peinture, porte en lui des résonances calligraphiques et ouvre aux lecteurs occidentaux une fenêtre sur l’Asie, son folklore, ses animaux et chimères, son imaginaire.
Ce qui est très beau ici dans la narration, c’est la pudeur et la délicatesse qui irriguent tout le récit. Jamais l’auteur ne juge le régime en place, il ne l’explique pas non plus, ne rentre pas dans les détails, ne s’appesantit pas. La tentation du pathos jamais ne l’effleure. Car son ambition est ailleurs. Il ne cherche pas à revenir sur les faits historiques mais à retrouver, au plus près de son propre vécu, comment l’Histoire a impacté son quotidien familial. Les changements en chaîne. Les proches qui partent (le père), disparaissent (la voisine) ou meurent (le grand-père). La perte est au cœur du traumatisme qui n’est pourtant jamais évoqué comme tel. Perte des êtres chers, de liberté, d’individualité, de sa terre natale qu’il faut fuir pour s’émanciper. Seul l’art, ici, permet de réparer. La découverte du dessin enfant, les Beaux Arts ensuite. L’art comme échappatoire devient la possibilité de se réapproprier sa propre histoire.
François Orsoni reprend le dispositif remarquable de Contes Chinois : Chen Jiang Hong, en bordure de plateau, dessine en direct sur un rouleau de papier qu’il déroule au fur et à mesure. Filmés en temps réel, les dessins apparaissent petit à petit sur l’écran blanc, au rythme de la main, accompagnant chaque scène. Le dessin fini, Chen Jiang Hong laisse glisser à terre le papier pour amorcer le suivant sur la page à nouveau blanche. Ce rouleau porte en lui la mémoire des dessins qui petit à petit tombent à terre, il raconte à lui tout seul ce que sont nos vies : des pages blanches qui se remplissent et laissent la place à d’autres sans jamais disparaître complètement. Il est la frise chronologique sur laquelle s’inscrivent les événements, il garde la trace des souvenirs et de l’Histoire qui s’imprime dans nos corps et nos vies. Quant à la narration, elle est prise en charge par le comédien Alban Guyon, admirable dans sa sobriété très habitée et dans le lien scénique qu’il noue avec les deux danseuses (sublimes Lili Chen et Namkyung Kim), représentant les deux sœurs du protagoniste. Leur apparitions dansées soulèvent le cœur et apportent à l’ensemble un mouvement bienvenu qui appuie la théâtralité de la proposition, tout autant que cette idée lumineuse du bruitage en direct.
Derrière un écran vertical, tantôt transparent, tantôt surface de projection du dessin, Eléonore Mallo s’active à donner à cette histoire venue de loin sa matière sonore. Le son et la musique spatialisés contribuent pleinement à l’architecture d’ensemble de ce spectacle superbe qui combine merveilleusement ses moyens d’expression dans une alchimie radieuse et dont le moindre détail, jusqu’aux tissus des costumes, est soigné. Et quand Chen Jiang Hong, que l’on regarde dessiner avec délice, prend le relai de la parole pour raconter son exil français, sa main et son crayon restent à l’écran, suspendus au-dessus de la page et cette image résume à elle seule un chemin de vie.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le Petit Garde Rouge
Mise en scène François Orsoni
Textes et dessins Chen Jiang Hong
Avec Lili Chen, Alban Guyon et Namkyung Kim
Scénographie et vidéo Pierre Nouvel
Création sonore et régie son Valentin Chancelle
Création sonore et Bruitage Eléonore Mallo
Régie générale Antoine Seigneur-Guerrini, François Burelli
Création lumière Antoine Seigneur-Guerrini
Direction artistique Natalia Brilli
Régie vidéo Thomas Lanza
Administration Manon Galinha
Diffusion Karine Bellanger / bora bora productionsDurée 1h
1 et 2 mars 2023
Maison de la culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production16 mars 2023
Le Granit, Scène nationale de Belfort6 et 7 avril 2023
Maison de la culture de Bourges, Scène nationaleDu 31 mai au 18 juin 2023
Théâtre du Rond-Point, Paris
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