Le couple d’artistes s’attaque à son premier opéra et s’en donne à cœur joie. La collaboration avec l’ensemble baroque Il Caravaggio de Camille Delaforge au service du Carnaval de Venise de Campra fonctionne à plein.
Dans cet opéra-ballet, parfois qualifié d’opéra-comique, il ne faut pas chercher de balcon pour amoureux transis ni de place Saint-Marc. Pourtant, rien ne manque. Il y avait peu d’intérêt narratif à coller aux personnages et à leurs atermoiements. Alors, pour monter Le Carnaval de Venise, Yvan Clédat et Coco Petitpierre ont déplacé l’attrait de cette pièce d’André Campra composée en 1699 sur le plan esthétique. Jorge Lavelli, le dernier à l’avoir montée en 1975, l’avait lui placée au pied d’une façade d’archevêché et sous une arche de pierre.
Habitué aux performances et spectacles – parfois pour enfants – qui laissent durablement leur empreinte dans nos têtes – comme ces sculptures vivantes en mousse qui bousculent notre environnement dans Les Baigneurs, ou Poufs aux sentiments –, le duo d’artistes s’amuse avec ces intrigues qui n’en sont pas vraiment : Isabelle et Léonore aiment le même homme, Léandre, qui choisit la première. Un quatrième, fou de Léonore, se met en tête d’assassiner son rival pour récupérer sa belle. Erreur de cible, les amoureux triompheront, et il ne récoltera que le dégoût de celle qu’il convoite. Parallèlement, l’allégorie de la Fortune passe par là et Neptune se joue des indomptables Orphée et Eurydice. Alambiqué ? Pas du tout ! C’est Minerve qui ouvre le bal, tombée du ciel dans un costume doré. Il faut que ses sbires s’activent : l’objectif est de faire la fête. Ces opéras-ballets étaient faits pour divertir la cour. Il faut du spectacle, du spectacle, et encore du spectacle, au point de mettre en abîme Orfeo dans cet ensemble, composé d’un prologue, qui tient ici en 2h20 (entracte compris).
En poursuivant leur collaboration avec le chorégraphe Sylvain Prunenec, Clédat et Petitpierre trouvent la clef de voûte de leur mise en scène : cinq danseurs et danseuses, en mode polichinelles bossus enfermés dans une combinaison d’un blanc immaculé, vont être le lien entre le plateau et le public – ils se promènent dans les travées avant même le commencement – et avec l’orchestre de 20 musiciens que dirige (et a fondé en 2017) Camille Delaforge, qui, elle-même, partage quelques échanges avec eux. Tout est affaire de jeu continu au point que, pendant l’entracte, quelques chanteurs et instrumentistes vont poursuivre le spectacle dans le hall du théâtre. Le sens de la fête est parfaitement assumé. La drôlerie tient à cette naïveté des cinq polichinelles qui semblent tomber du nid, et regardent les éléments scéniques avec une circonspection comique. Les projecteurs, ces énormes glands de mercerie qui tombent des cintres, sont perçus comme autant d’étrangetés qui renvoient au pouvoir d’attraction de l’art scénique. En lieu et place de la représentation des palaces vénitiens, des sortes de tranches de demi-cylindres en bois de différentes tailles qui dessinent un labyrinthe sur scène, des chausse-trappes, des promontoires, et d’immenses balles colorées de velours comme décorum à ces agapes. Les époques se confondent. Difficile de savoir quand les artistes situent cette action. L’armée des Enfers ressemble, elle, à un groupe de death metal, cape de feu et cheveux longs noirs tombant symétriquement sur les épaules. Sans moquerie, mais avec une pointe d’humour encore.
Car l’une des disciplines que maitrisent le plus Clédat et Petitpierre, ce sont les costumes – fabriqués dans les ateliers de l’Opéra de Rennes. Leurs personnages existent d’abord par ce qu’ils portent, et c’est peu dire qu’ils ont réussi le pari de la beauté avec les motifs de losanges bigarrés attribués aux cinq solistes (Victoire Bunel, Anna Reinhold, David Tricou, Sergio Villegas Galvain, Guilhem Worms) et aux huit autres chanteurs et chanteuses qui s’expriment en français, mais aussi en italien. Parfaitement en accord avec la composition musicale enjouée, la flûte de l’un, la viole de gambe, le clavecin ou les castagnettes des autres, les danseurs et chanteurs apportent une légèreté inattendue à ce livret de Jean-François Regnard qui a vieilli. « Tout rit à nos désirs, ne soyons qu’au plaisir ». Voici l’une des devises de ces personnages hors-sol, mais séduisants.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Le Carnaval de Venise
d’André Campra
Livret Jean-François Regnard
Mise en scène, scénographie et costumes Yvan Clédat et Coco Petitpierre
Direction musicale Camille Delaforge
Cheffe de chœur Lucile De Trémiolles
Avec Victoire Bunel, Anna Reinhold, David Tricou, Sergio Villegas Galvain, Guilhem Worms, les chanteur.euse.s du Studio Il Caravaggio Apolline Raï-Westphal, Clarisse Dalles, Louise Roulleau, Laura Jarrell, Benoit-Joseph Meier, Jordan Mouaissia, Léo Guillou-Keredan, Mathieu D’ourlet, les danseur.euse.s Marie-Laure Caradec, Max Fossati, Julien Gallée-Ferré, Marie-Charlotte Chevalier, Sylvain Prunenec, et l’Ensemble Il Caravaggio
Chorégraphie Yvan Clédat, Coco Petitpierre, Sylvain Prunenec
Création lumières Yan Godat
Assistante costumes Anne Tesson
Assistante mise en scène Françoise Lebeau
Assistant dramaturge Baudouin Woehl
Fabrication décors et costumes Opéra de RennesProduction de la co[opéra]tive : Les 2 Scènes / Scène nationale de Besançon, Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne, Théâtre de Cornouaille / Scène nationale de Quimper, Opéra de Rennes, Théâtre Sénart / Scène nationale, Atelier Lyrique de Tourcoing
Coproduction Centre de Musique Baroque de Versailles, Ensemble Il Caravaggio, Angers-Nantes OpéraCe spectacle bénéficie du soutien de la Caisse des Dépôts et Consignations, mécène principal de la co[opéra]tive.
Durée : 2h20 (entracte compris)
Théâtre Ledoux / Les 2 Scènes, Besançon
les 22 et 23 janvier 2025Théâtre Impérial, Opéra de Compiègne
les 30 et 31 janvierMC2: Maison de la Culture de Grenoble
les 5 et 6 févrierThéâtre Sénart, Lieusaint
les 12 et 13 févrierAtelier Lyrique de Tourcoing
les 1er et 2 marsL’Équinoxe, Châteauroux
le 6 marsLe Quartz, Brest
le 14 marsOpéra de Rennes
du 19 au 23 marsThéâtre de Cornouaille, Quimper
les 27 et 28 marsThéâtre Graslin, Angers-Nantes Opéra
les 5 et 6 avril
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