Ludovic Lagarde reprend à L’Odéon sa mise en scène de L’Avare de Molière. L’excellent Laurent Poitrenaux y révèle la folie dévastatrice d’un Harpagon aussi drôle que féroce.
En matière d’actualisation, L’Avare se prête particulièrement bien au jeu. L’appétit d’argent comme le délitement des rapports familiaux sont des sujets pertinemment de notre époque. On se souvient entre autres de la version décapante d’Ivo van Hove où l’acteur principal, immense Hans Kesting, explorait la part sombre d’Harpagon, plus encore, ses tendances suicidaires puisque, aussitôt s’être aperçu du vol de son patrimoine, celui-ci se jetait du haut de son loft bordélisé dans un final prématurément conclu. L’Avare que propose Ludovic Lagarde assume toute la drôlerie de la comédie de caractère, et surajoute même en comique gaguesque, mais la lecture qui en est faite se montre aussi assombrie, empreinte de gravité. Car Harpagon y est comme jamais un tyran domestique. Plein d’une autorité excessive, il représente une véritable menace sur sa maison, empoignant avec une rage quasi-animale ses enfants récalcitrants comme ses servants nonchalants.
Dans le rôle-titre, Laurent Poitrenaux ne lésine pas sur la violence plus que latente qui habite le personnage. Dégaine militaire, débit sec et nerveux, geste brutal, attitude pulsionnelle, obsessionnelle, c’est même muni d’un fusil de chasse que l’individu tellement dingue et risible sème la terreur dans son domicile transformé en petite entreprise commerciale. Dans une arrière-pièce, s’entreposent caisses et cartons de marchandises qu’on devine plus ou moins licites. Ce Mafieux affairé a été inspiré à Ludovic Lagarde par le sicilien Bernardo Provenzano. Suspicieux de tout et à l’excès, il dispose d’une caméra de vidéosurveillance qui scrute le jardin et somme le pauvre La Flèche de se déshabiller pour le fouiller jusque dans ses parties les plus intimes. L’affrontement est désopilant et Poitrenaux triomphe.
Autour de ce formidable acteur, c’est toute une belle et convaincante équipe qui apporte fantaisie et effroi à la comédie de Molière. Christèle Tual fait une hilarante Frosine, femme d’affaires en jupe de cuir stricte et sexy, dépassée par les événements et portée sur la boisson. La jeunesse chez Molière est absolument séduisante. Loin d’être insipide comme parfois, hélas, elle est vive, passionnée et révoltée. L’Elise aux seins nus de Myrtille Bordier évoque les Femen, le Cléante fashion de Tom Politano est irrésistiblement insolent.
Créé en 2014 à la Comédie de Reims que Ludovic Lagarde s’apprête à quitter après une dizaine d’années passées à sa direction, le spectacle n’a rien perdu ni de son acuité, ni de sa vivacité, ni de sa férocité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
L’Avare de Molière
AVEC MARION BARCHÉ, MYRTILLE BORDIER, LOUISE DUPUIS, ALEXANDRE PALLU, LAURENT POITRENAUX, TOM POLITANO, JULIEN STORINI, CHRISTÈLE TUAL ET AVEC LA PARTICIPATION DES ÉLÈVES DE LA CLASSE DE LA COMÉDIE
SCÉNOGRAPHIE ANTOINE VASSEUR – LUMIÈRES SÉBASTIEN MICHAUD – COSTUMES MARIE LA ROCCA – MAQUILLAGE ET COIFFURE CÉCILE KRETSCHMAR – MUSIQUE PIERRE-ALEXANDRE « YUKSEK » BUSSON – DRAMATURGIE MARION STOUFFLET – ASSISTANAT MISE EN SCÈNE ET VIDÉO CÉLINE GAUDIER – SON ET VIDÉO DAVID BICHINDARITZ – ENSEMBLIER ÉRIC DELPLA – MOUVEMENT STÉFANY GANACHAUD
Production la Comédie de Reims–CDN
Avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, DRAC et Région PACA
Durée: 2h35Odéon 6e
2 – 30 juin 2018
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h.
Relâche le dimanche 3 juin.
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