Le mois d’avril à Montreuil s’est déroulé et s’achève bientôt sous le signe du Munstrum Théâtre dans le cadre de la première édition de Quartiers d’artistes, une initiative du Théâtre Public de Montreuil. Une carte blanche qui se clôture ces jours-ci avec Clownstrum, la reprise d’un trio de clowns emblématique de l’esthétique de la compagnie.
C’est dans un lieu tenu secret que Clownstrum invite le public à vivre sa farce apocalyptique. Un lieu qui se dévoile au dernier moment, une fois l’immense bâche noire striée de traînées blanches traversée. Un lieu imposant, au volume impressionnant. Un espace en friche qui s’accorde impeccablement à la fiction qui s’ébroue dans ses largeurs, sa profondeur et même, ses hauteurs. Clownstrum est un spectacle qui, à chacune de ses programmations, rencontre son écrin, décor naturel, industriel et urbain, désaffecté, brut de béton, pour s’y adapter, s’y glisser, faire corps avec. Et cette alchimie fait le sel de la représentation. Au début était la scénographie. Un sol poudré d’une poussière blanche comme la peau des personnages, une poubelle renversée ici, un squelette assis dans un coin, quelques bouteilles en plastique désespérément vides ça et là. De ce décor de fin du monde, surgit un clown, aussi pâle que le sol est sale, l’air mal en point. Mais le nez rouge qui lui griffe la figure l’atteste, il est de cette espèce en voie de disparition, pathétique autant que comique, qui génère le rire et l’effroi à dose égale. Arrive ensuite une femme trainant la patte, une clown aussi, qui fait valoir d’emblée son mauvais caractère. Puis, dans une entrée aussi imprévisible qu’incongrue (qu’on ne dévoilera pas ici), une troisième larronne débarque.
Les voilà trois, au complet, trinité beckettienne en diable, comme seuls au monde. Cheveux plaqués, visage argileux, comme emplâtré par la poussière qui règne en maître dans ce désert de sécheresse mortifère, ils semblent émaner de nulle part, errants et assoiffés, rescapés d’on ne sait quelle catastrophe écologique, d’on ne sait quelle guerre nucléaire. Ils ne se connaissent pas, ils se découvrent avec méfiance et apprennent à cohabiter dans un espace que chacun voudrait faire sien, dans les ruines des temps anciens, dans l’après chaos. Peut-être le néant de la fin. A peine ensemble, l’appropriation du territoire est la priorité. Rapaces déplumés mais tenaces. Qu’à cela ne tienne, il suffit d’élire un chef pour prendre les décisions, enrayer les problèmes rencontrés, régler les conflits. Nous voilà en pleine parodie politique au beau milieu d’un no man’s land qui pue la mort, la décrépitude et la solitude. Pas un gramme de sentiment sincère, d’entraide ni de solidarité, pas la moindre tendresse à l’horizon. Il n’y a dans ce monde en bout de course pas plus d’eau que d’affection. Pas plus d’espoir que d’avenir. Affreux, sales et méchants, voilà ce que nous sommes devenus. Des miettes d’humanité aussi peu fertiles que les déchets de plastique qui jonchent bientôt la zone, comme ils appellent ce terrain vague inhospitalier qu’ils se disputent.
Cadavériques et misérables, zombies à bout de souffle, clochards de la fin des temps, manquant de tout, surtout d’amour et d’eau fraîche, ils nous rappellent les âmes en peine de May B, la pièce culte de Maguy Marin. Le nez rouge en plus, comme une ponctuation de leur être. Le seul éclat de couleur dans un monochrome crème. Allégorie de la solitude et de la cruauté, corps fragile, peau friable, mental d’acier, écho grinçant de notre individualisme forcené, de notre bêtise crasse, de nos luttes de pouvoir ridicules, le trio s’ébroue face à nous dans une fable post-apocalypse qui a pourtant le goût amer d’aujourd’hui. Car ce paysage irrespirable, ravagé par le désastre climatique, la pollution atmosphérique, la cupidité et la course à la croissance, pourrait bien être le reflet de ce qui nous pend au nez. Et les résonances nous percutent de plein fouet, à l’image de ces projectiles qu’ils se jettent à travers le plateau dans une guerre de territoire aussi féroce qu’absurde.
Si l’intrigue est maigre, aussi désossée que les cadavres d’objets manufacturés qui jonchent bientôt le sol, si la forme est courte, à peine une heure, si la parole, parcimonieuse au début, s’emballe quand il s’agit de singer nos parlures sociales ou la politique et ses protocoles, puis s’amenuise à nouveau quand la violence des conflits prend le relais, ce qui fait le charme de ce spectacle aussi burlesque que poignant qui nous colle à la peau même une fois terminé, outre l’ampleur de son univers et son identité esthétique forte, ce sont ses interprètes. Les silhouettes qu’ils dessinent, les personnalités qu’ils inventent, et leurs interactions entre eux : Louis Arène, Sophie Botte et Delphine Cottu, tous les trois formés au jeu masqué et au clown, ils forment un inénarrable trio de survivants tragi-comiques qui impactent puissamment l’imaginaire.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Clownstrum
CRÉATION COLLECTIVE DE ET AVEC
Louis Arene, Sophie Botte et Delphine Cottu
MISE EN SCÈNE
Louis Arene et Lionel Lingelser
COLLABORATION À L’ÉCRITURE
François de Brauer
CRÉATION NEZ, COSTUMES, MAQUILLAGES ET SCÉNOGRAPHIE
Louis Arene
PRODUCTION
Munstrum Théâtre
COPRODUCTION
La Filature, scène nationale de Mulhouse, Festival Scènes de Rue de MulhouseDurée : 55 min
A partir de 12 ansDu 27 au 30 avril 2023
Théâtre Public de MontreuilDu 19 au 21 mai 2023
Théâtre en Mai / Théâtre Dijon-Bourgogne – CDN
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