Un théâtre ouvert sur le monde et qui aborde les enjeux de notre temps, un théâtre où des générations d’artistes dialoguent et où les femmes et les hommes sont mis à égalité : c’est la vision qui me guide depuis mon arrivée à l’Odéon, et qui s’exprime pleinement dans cette nouvelle saison, avec l’objectif d’accompagner les artistes sur le long terme, de faire émerger divers aspects de leur travail, et de suivre leur évolution, tout en permettant au public de découvrir de nouveaux visages et de nouvelles postures créatives.
Côté international, cette saison est indéniablement marquée par la présence de deux artistes polonais majeurs. Le grand Krystian Lupa revient à l’Odéon avec son adaptation française des Émigrés de WG Sebald. Pour ceux qui connaissent la qualité hypnotique du style de l’écrivain allemand, il est clair qu’il a tout pour donner l’inspiration à Lupa pour créer un événement théâtral fascinant, un de ceux qu’il crée en combinant les échafaudages de la grande littérature avec les paysages intérieurs de ses acteurs créateurs. Łukas Twarkowski, son jeune compatriote, travaille depuis des années avec Lupa en tant que dramaturge et vidéaste. Depuis une dizaine d’années, il monte, en Pologne et dans les pays baltes, des manifestations théâtrales totales particulièrement spectaculaires et ambitieuses, mais c’est la première fois que son œuvre sera présentée en France. Rohtko (avec une erreur délibérée !), d’abord réalisé en Lettonie avec des artistes lettons, polonais et chinois, est construit sur la vie du grand peintre américain Mark Rothko ainsi que sur un spectaculaire scandale de contrefaçon qui a bouleversé le monde de l’art il y a une douzaine d’années. À l’ère de l’art numérique et du « crypto art », l’exposition iconoclaste sonde les enjeux de la commercialisation de l’art, du mythe de l’authenticité et de la hiérarchie entre l’original et la copie.
Cette question de la dévalorisation de la réalité — de sa diffraction en millions d’images et d’expériences — est aussi au cœur d’ Angela [une étrange boucle] , de l’artiste allemande Susanna Kennedy, dont le travail sera présenté pour la première fois à l’Odéon . Qu’est-ce qui constitue réellement l’identité d’Angèle, une femme dont on suit la vie de la naissance à la mort, et que l’on regarde vivre l’expérience existentielle de la maladie ? Qu’est-ce que « moi » dans un monde où les nouvelles connexions entre corps, machines et technologies minent la notion même de subjectivité ? Telles sont les questions fascinantes que se pose Susanne Kennedy, en collaboration avec l’artiste multimédia Markus Selg.
C’est aussi une vie de femme que suit Alexander Zeldin dans son nouveau spectacle anglophone, The Confessions : l’histoire de sa propre mère, dont il entremêle l’intimité avec les grandes mutations sociétales, et notamment la trajectoire des femmes, des années quatre-vingt passées. années. Le souci social de Zeldin, que l’on découvrait dans Amour , puis dans Foi, Espérance et Charité , s’ouvre ici sur une dimension clairement autobiographique qui était déjà perceptible dans Un mort dans la famille .
Les femmes sont également au cœur du nouveau spectacle de Christiane Jatahy, interprété en français, dans lequel Hamlet sera interprété par une comédienne afin de mettre en lumière la violence du système patriarcal. Après avoir revisité Macbeth en 2016 dans son installation-performance A Floresta que anda , la metteure en scène revient à Shakespeare, bien décidée à aborder de front sa pièce la plus célèbre. Le texte de Shakespeare sera interprété, mais avec une audace dramaturgique qui devrait faire entendre le public comme s’il s’agissait de la première fois.
Et encore huit femmes, huit interprètes d’ascendance africaine, font exploser dans Carte noire nommée désir les fantasmes (non décolonisés) attachés à leur corps pour se réapproprier leurs histoires de femmes noires. Créé en 2022, il nous a semblé important de présenter ce spectacle puissamment poétique et vital de Rébecca Chaillon.
Devant toutes ces femmes, la séductrice mythique que Macha Makeïeff met en scène, lisant Dom Juan de Molière à travers le prisme du marquis de Sade, se sentira probablement bien seule… Avec sa sensibilité féminine et son sens du rire, Macha Makeïeff oppose contre « celle qui se nourrit du mal » une Elvire qui se rebelle contre le destin humiliant auquel le désir d’un homme tente de la réduire.
La façon dont l’Histoire se faufile dans la vie des gens, ce qu’elle fait aux êtres humains, qu’elle emporte parfois comme des vagues, et parfois fracasse contre les rochers, est probablement l’un des plus grands enjeux théâtraux, qui est le plus fascinant lorsqu’il relie le petit au grand , du singulier à l’universel, de l’intime au collectif.
C’est ce qu’on retrouve dans la vie des Émigrants dans le merveilleux roman de Sebald, lui-même exilé de l’Allemagne de l’après-guerre, dont l’œuvre était hantée par les fantômes du nazisme, mais aussi — sur un mode farfelu, effroyable — dans la vie des figures de l’extrême droite française pendant la Seconde Guerre mondiale que Sylvain Creuzevault fait revivre dans son nouveau spectacle Edelweiss [France Fascisme] .
A l’heure où une extrême droite apparemment normalisée est au seuil du gouvernement, il est sans doute judicieux de remonter aux sources de son idéologie nationaliste et xénophobe.
On la retrouve aussi dans Les Paravents de Genet qu’Arthur Nauzyciel ramène sur la scène de l’Odéon près de 60 ans après les violences et les appels à la censure qui ont entouré sa mise en scène initiale par Roger Blin . En 1966, les défenseurs de la liberté d’expression remportent heureusement la bataille des Paravents contre les défenseurs de l’Algérie française. A l’époque, les blessures de la guerre d’Algérie saignaient encore, mais sont-elles vraiment cicatrisées ? N’ont-ils pas été repoussés au plus bas de la société française, et ne sont-ils pas toujours prêts à refaire surface ?
C’est aussi ce qui m’a donné envie de monter l’Andromaque de Racine . Quand je pense à la guerre en Ukraine, au-delà de l’horreur des combats et des destructions abominables, je ne peux m’empêcher de penser aux traces que la guerre laissera dans la chair et l’âme blessées des gens, aux blessures qui mettront des générations à cicatriser, aux le cercle vicieux qui ajoute la haine à la haine, sur les enfants traumatisés qui sont susceptibles de poursuivre la violence et de reproduire eux-mêmes ces traumatismes. A IphigénieRacine a planté le décor au début de la guerre de Troie ; il nous a rappelé ses origines et les a liées à la soif de pouvoir des rois grecs, à leur volonté de sacrifier les valeurs humaines sur l’autel de leur désir de gloire. Lorsque nous avons joué la pièce en 2020, ces problèmes résonnaient avec l’arrêt du monde causé par l’épidémie de Covid 19. À Andromaque, Racine met en scène la fin de la guerre de Troie, dans ses suites. Le sacrifice d’un enfant est une fois de plus au centre d’un entrelacement d’intérêts et de désirs, d’enjeux émotionnels et politiques, cette fois solidaire de l’état post-traumatique dans lequel se retrouvent tous les personnages, gagnants et perdants, sbires et victimes. la guerre. Sortir de la haine et de la chaîne de la vengeance, rompre avec un passé qui compromet à la fois le présent et l’avenir, sortir de l’Histoire, sortir de la tragédie, est-ce même vaguement possible ?
Sur un plan beaucoup plus intime, ces enjeux sont également au cœur des travaux d’Arne Lyre, Stig Dagerman et Thomas Bernhard. Dans Jours de joie , l’extraordinaire pièce d’Arne Lygre que nous remontons cette saison, l’auteur norvégien interroge, avec un humour cinglant, notre capacité à être heureux, à surmonter des situations tragiques, et à trouver la joie « malgré tout ». L’Enfant brûlé ( A Burnt Child ), l’avant-dernier roman de l’auteur suédois Stig Dagerman (plus connu en France pour son ouvrage Notre besoin de consolation est impossible à rassasier ).)) traite de la survie après le départ d’une mère, et pour la metteure en scène Noëmie Ksicova, il s’agit de faire du théâtre « un espace de consolation et de réparation ». On peut compter sur ce nouveau venu à l’Odéon, qui est aussi musicien et auteur, pour scruter avec une sensibilité aiguë la musique des âmes de Dagerman.
Avec Oui ( Oui ), Célie Pauthe et Claude Duparfait reviennent sur Thomas Bernhard, sur son œuvre pleine de colères et d’échecs, cette fois pour s’embarquer avec lui, dans cette brève nouvelle, dans une quête de « l’être vital » — un rêve , sans doute ancrée dans la rencontre puissante et pourtant improbable entre deux êtres solitaires.
Enfin, après le succès de sa Némésis, inspirée par Philip Roth, nous sommes ravis de remonter La réponse des Hommes , le magnifique spectacle écrit et mis en scène par Tiphaine Raffier que nous avons dû annuler en 2021 et reprogrammer en dehors du théâtre avec le Théâtre Nanterre-Amandiers en 2022. Avec ses neuf histoires animées d’un esprit épique et dystopique, Tiphaine Raffier fait de la scène un espace où nos réalités contemporaines se confrontent aux questions éthiques les plus fondamentales. C’est à la fois exaltant et angoissant. Et cela rejoint le projet artistique de l’Odéon, qui cherche à conjuguer le plaisir du théâtre, de jouer, d’inventer, d’imaginer, avec le regard aiguisé des artistes sur le monde tel qu’il est.
Éditorial
Stéphane Braunschweig
Spectacles
Edelweiss [France Fascisme]
texte et mise en scène Sylvain Creuzevault
artiste associé
création aux Ateliers Berthier
dans le cadre du Festival d’Automne
durée estimée 2h30
21 septembre – 22 octobre
Berthier 17e
The Confessions
texte et mise en scène Alexander Zeldin
artiste associé
dans le cadre du Festival d’Automne
en anglais, surtitré en français — durée estimée 3h (avec entracte)
29 septembre – 15 octobre
Odéon 6e
ANGELA [a strange loop]
conception Susanne Kennedy et Markus Selg
texte et mise en scène Susanne Kennedy
dans le cadre du Festival d’Automne
en anglais, surtitré en français — durée estimée 1h30
8 – 17 novembre
Berthier 17e
Andromaque
de Jean Racine
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
création à l’Odéon
durée estimée 2h
16 novembre – 22 décembre
Odéon 6e
Carte noire nommée désir
texte et mise en scène Rébecca Chaillon
durée 2h40
28 novembre – 17 décembre
Berthier 17e
La réponse des Hommes
texte et mise en scène Tiphaine Raffier
durée 3h20 (avec entracte)
9 – 20 janvier
Berthier 17e
Les Émigrants
d’après le roman de W. G. Sebald
un spectacle de Krystian Lupa
durée estimée 4h (avec entracte)
11 janvier – 4 février
Odéon 6e
Rohtko
texte et dramaturgie Anka Herbut
mise en scène Łukasz Twarkowski
en letton, anglais et chinois, surtitré en français
durée 3h55 (avec entracte)
31 janvier – 9 février
Berthier 17e
L’Enfant brûlé
d’après le roman de Stig Dagerman
mise en scène Noëmie Ksicova
durée estimée 2h15
27 février – 17 mars
Berthier 17e
Hamlet
de William Shakespeare
mise en scène Christiane Jatahy
artiste associée
création à l’Odéon
durée estimée 2h15
5 mars – 14 avril
Odéon 6e
Jours de joie
d’Arne Lygre
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
durée 2h20
20 avril – 5 mai
Berthier 17e
Dom Juan
de Molière
mise en scène Macha Makeïeff
durée estimée 2h15
23 avril – 19 mai
Odéon 6e
Oui
de Thomas Bernhard
adaptation et conception Claude Duparfait et Célie Pauthe
mise en scène Célie Pauthe
durée estimée 1h30
24 mai – 15 juin
Berthier 17e
Les Paravents
de Jean Genet
mise en scène Arthur Nauzyciel
durée estimée 3h45 (avec entracte)
31 mai – 19 juin
Odéon 6e
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