Au théâtre de la Tempête, à Paris, l’autrice et metteuse en scène présente un spectacle sur le pouvoir et ses effets, aux contours hélas trop flous.
Des bassines d’eau posées sur une large bâche. Une corbeille de fruits au centre. Et trois hommes torse nu prêts à se laver dans une pénombre quasi-complète. Amnesia débute par une sorte de cérémonie. Une femme agite une clochette en même temps qu’elle diffuse de l’encens dans le public, plongeant la salle dans une ambiance liturgique. L’atmosphère est sombre, vaporeuse, comme chargée de lourds secrets.
Cette scénographie très travaillée (signée par Salma Bordes), où la lumière peine à percer les ouvertures des moucharabiehs disposés de part et d’autre de la scène ou à rayonner derrière les franges du rideau scindant en deux le plateau de la petite salle du Théâtre de la tempête (Paris 12e), l’autrice et metteuse en scène Sarah M. entend la mettre au service de cette histoire de pouvoir gorgée de sang et de péchés. Le geste impressionne par la beauté des images créées et la prestation des comédiens mais se noie rapidement dans une intrigue emberlificotée.
La trame d’Amnesia se noue autour de trois amis d’enfance : un général (Julien Breda), un militant politique (Sofiane Bennani) et le roi (Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre). Rapidement on comprend que ces liens du passé ont été rompus, laissant la place à une lutte intestine entre les trois hommes. L’amour semble avoir disparu. Ne subsiste que la haine dans son concentré le plus vénéneux. Autour d’eux, leur entourage (Hayet Darwich et Hnia El Amrani) demeure impuissant devant l’horreur qui advient.
De ce ressentiment profond, nous n’en percevons que la trace. A travers l’épaisse fumée blanche qui ne quitte jamais vraiment la salle, un écran accroché en hauteur permet de lire la traduction des dialogues en arabe ainsi que des éléments narratifs. Nonobstant ces repères, les ressorts de l’intrigue demeurent opaques. La pièce procède à des aller-retours entre passé et présent sans pour autant éclairer davantage sur les raisons de la rivalité entre les personnages. L’effet produit finit par déboussoler : « quatre ans plus tôt », « trois ans plus tard », on ne sait plus très bien à quelle époque on se situe. Certaines parties du texte s’avèrent parfois illisibles, cachées par la lumière des projecteurs. Cet exercice de va-et-vient entre l’écran et la scène se révèle rapidement pénible même si l’on en comprend l’usage – le recours à l’arabe à certains endroits de l’intrigue se justifie.
L’écriture de Sarah M. gonfle la salle de bons mots mais cette littérature s’affaisse quand il s’agit d’y trouver un sens. Les grands enjeux du texte restent à l’état de concepts, oubliant d’impliquer les personnages. Ces derniers ne sont que des ombres dont on peine à distinguer les contours de la personnalité. Le roi, le militant politique, le général… chacun reste cantonné à sa fonction. Sarah M. en oublie les êtres qui se cachent derrière. Un paradoxe alors que cette fable politique s’incarne à travers trois hommes pour trois formes de pouvoir. Le peuple, quant à lui, n’apparaît que brièvement lors d’une scène de contestation. Les personnages de femmes jouées par Hayet Darwich et Hnia El Amrani ont plus d’épaisseur, dévoilant leur force et leur fragilité au fil de la pièce. Fable politique ou récit d’une haine reléguée à l’intime, Amnesia échoppe à trouver le juste curseur pour dissiper l’épais brouillard installé entre la scène et le public.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
AMNESIA
texte et mise en scène Sarah M.
avec Sofiane Bennani, Julien Breda, Hayet Darwich, Hnia El Amrani, Sarah M., Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre
dramaturgie Zelda Bourquin
scénographie Salma Bordes
son Matin Poncet
lumières Guillaume Tesson
costumes Léa Gadbois Lamer
traduction Yto Regragui, Mina Rachid
production Le Bureau des filles – Véronique Felenbok
administration Marie Ponçon
diffusion Christelle Lechatproduction La Compagnie Beïna en coproduction avec Le Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val de Marne, le Collectif 12, le Studio Théâtre de Stains, L’Archipel-Granville – scène conventionnée d’intérêt national Art et Territoire avec le soutien de la DRAC Ile-de-France, du FAAR, de la DGCA, de La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle – Villeneuve-lez-Avignon, des Plateaux Sauvages, du Safran – scène conventionnée d’Amiens Métropole avec le soutien en résidence du Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête.
Salle Copi • Durée : 1h45
Théâtre de la Tempête
Jusqu’au 21 mai 2023
du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30
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