Malgré des faiblesses dans l’écriture de plateau et une traduction qui éreinte la poétique textuelle, Benjamin Porée extrait l’essence de la mécanique de destruction tchekhovienne dans Le Rêve est une terrible volonté de puissance actuellement aux Gémeaux.
En cet automne théâtral, Anton Tchekhov inonde les scènes françaises. Après Les Trois Sœurs de Timofeï Kouliabine, Vania et Mélancolie(s) de Julie Deliquet et juste avant Les Trois Sœurs de Simon Stone, Benjamin Porée livre sa version de La Mouette. Ou plutôt ses « variations » autour du texte de Tchekhov dans Le Rêve est une terrible volonté de puissance.
Loin de la Russie du XIXe siècle, le metteur en scène propose une actualisation à fleur de peau de l’œuvre du dramaturge russe. Là où, chez Tchekhov, les personnages s’entre-dévorent en creux, Benjamin Porée fait éclater au grand jour cette mécanique destructrice des rêves de tous contre tous. Les rêves d’amour qui déchirent Sémion – devenu Simon – pour Macha, Macha pour Konstantin, Konstantin pour Nina, Nina pour Trigorine ; mais aussi les rêves d’art, romanesque ou théâtral, de Trigorine et Irina. Jamais assouvis, ils sont mus par une « volonté de puissance » dans la plus pure acception deleuzienne du concept de Nietzsche. Celle-ci construit la grandeur des uns en causant la perte des autres et emporte, selon la tradition tchekhovienne, la quasi-totalité des personnages dans l’abîme.
Dans un bel écrin scénographique, conçu par Benjamin Porée et magnifié par les lumières de Marie-Christine Soma, le recours à la vidéo se fait plus sporadique qu’annoncé. Présentée par le metteur en scène comme une composante essentielle de son spectacle, elle ne fait que de très irrégulières intrusions, trop brèves pour alimenter le projet de « scénario filmique pour le théâtre » qu’il entendait construire. Mais son utilisation se révèle toujours pertinente. A l’aide de gros plans, elle dévoile encore davantage les tourments qui secouent les personnages, leurs visages en disant bien souvent plus longs que leurs mots.
C’est d’ailleurs dans les mots choisis par Benjamin Porée que réside le principal écueil de son spectacle. Les oreilles habituées à la langue traduite par André Markowicz et Françoise Morvan friseront sans doute face à la traduction aussi contemporaine que terre-à-terre retenue par Porée. Volontairement plus crue, elle éreinte la poétique habituellement attachée aux répliques de Tchekhov. Surtout, ces fragments sont accompagnés de vrais moments d’écriture de plateau, Benjamin Porée ayant à cœur de promouvoir des acteurs-auteurs. Mal lui en a pris. A quelques rares exceptions près, ils font partie des passages les plus faibles du nouvel assemblage et n’ajoutent rien, ou presque, au texte originel. Heureusement la troupe de comédiens ne démérite quasiment jamais, prise dans un jeu à vif qui n’hésite pas à ajouter un peu de sel pour creuser les plaies de la dramaturgie tchekhovienne.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
LE RÊVE EST UNE TERRIBLE VOLONTÉ DE PUISSANCE
Variations d’après la Mouette d’Anton Tchekhov
Texte, mise en scène, adaptation, scénographie : Benjamin Porée
Avec : Mila Savic, Edith Proust, Anthony Boullonnois, Sylvain Dieuaide, Aurélien Rondeau, Nicolas Grosrichard, Camille Durand-Tovar
Caméraman au plateau : Guillaume Leguay
Création lumière : Marie-Christine Soma
Régie Lumière : Lucien Valle
Administration, production, diffusion – La Magnanerie : Julie Comte-Gabillon, Anne Herrmann, Victor Leclère, Sandrine Barrasso et Martin Galamez
Production : La Musicienne du Silence
Coproduction : Le Quartz, Scène nationale de Brest
Durée: 2h15
Les Gémeaux à Sceaux
Du 9 au 19 novembre 2017
du mardi au samedi à 20h45, le dimanche à 17hLe Quartz – Scène nationale de Brest
Mai 2018
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