La Mouette de Yann-Joël Collin est dans la lignée des spectacles de La Nuit surprise par le jour, la compagnie créée dans les années 90 avec Cyril Bothorel, Eric Louis, Pascal Collin, Christian Esnay, Alexandra Scicluna et Gilbert Marcantognini. Les comédiens fabriquent le spectacle en relation directe avec le public. Et forcément cette Mouette fait débat.
Le plateau est nu, il est vide. Il n’y a rien, c’est le néant. Yann-Joël Collin est installé au 5ème rang, à la table du metteur en scène. Il attend que le spectacle commence. Avec ses camarades, il va construire sous nos yeux cette Mouette. On installe (avec difficulté et déjà beaucoup d’humour ) un praticable puis le rideau de scène qui doit servir à la représentation de théâtre amateur de la pièce de Konstantin Gavrilovitch Tréplev (très convaincant Benjamin Abitan), le héros de la pièce de Tchekhov. Car le cœur de l’œuvre c’est la place de l’artiste dans la société et son utilité. D’ailleurs Tréplev dit à l’acte I : « Il faut faire des formes nouvelles ! » Alors Yann-Joël Collin se débarrasse de tous les carcans du théâtre. Les acteurs entrent et sortent de la salle. Ils jouent dans le public, se filment, se pourchassent dans le théâtre. Cette lecture peu conventionnelle irrite quelques spectateurs qui posent la sacro-sainte question « Est-ce du théâtre ? » et sortent excédés. Notre réponse est « oui, bien évidemment ! ».
Yann-Joël Collin joue à fond la déconstruction dans sa mise en scène. Il brouille les repères. Mais il sait créer des images qui font que nous sommes bien au théâtre. Dans la scène du monologue de Nina, la comédienne (Sofia Teillet) disparaît derrière un nuage de fumée. C’est magnifique. Au début du 2ème acte quand Arkadina (Alexandra Scicluna) décide de quitter la maison, tous les comédiens quittent le plateau et laissent les spectateurs seuls dans la salle ! Quelle riche idée. Ils continuent de jouer au bar du théâtre et les images sont retransmises sur écran. Trigorine (Yann-Joël Collin) « face caméra » dit ses doutes sur sa situation d’artiste. Une confession en gros plan dans la salle comme pour signifier les doutes sur l’état du théâtre contemporain ? C’est très fort.
A l’entracte le public est invité à trinquer. On boit de la vodka sur scène dans une ambiance de bal. Le spectacle fait d’ailleurs souvent référence aux grands standards de la chanson française. Certains refrains viennent émailler le texte de Tchekhov. Pierre Bachelet : « Et moi je suis tombé en esclavage ». France Gall « Ma déclaration ». Michel Jonasz : « Dites-moi qu’elle est partie pour un autre que moi ».
A la reprise il y a un peu moins de surprises et du coup la mise en scène commence à s’en faire sentir. C’est le petit coup de mou du spectacle. Et puis tout repart lors de la partie de loto interactive avec la salle. Chaque spectateur reçoit sa propre carte à jouer. Mais c’est Trigorine qui gagne ! Lorsque Nina apparaît dans le dernier acte et évoque ses deux dernières années avec Tréplev et qu’elle lance « Je suis une mouette » elle est désespérée dans la pénombre, elle sombre dans la folie. Elle s’enfuit comme elle est arrivée, par la coursive dans les cintres. Puis le coup de feu final retentit dans un silence de mort.
Yann-Joël Collin et sa troupe réussissent à embarquer le public dans cette aventure théâtrale totalement débridée en donnant un bon coup de fouet à la pièce de Tchekov proposée dans la très bonne traduction d’André Markowicz et de Françoise Morvan. Ils font du théâtre d’aujourd’hui pour un public d’aujourd’hui avec parfois des petits moments où l’on décroche mais peu importe car ils respectent l’âme de Tchekhov.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
La Mouette de Tchekhov
mise en scène
Yann-Joël Collin
traduction
André Markowicz
Françoise Morvan
direction technique
John Carroll
régie vidéo
Laurent Radanovic
collaboration artistique
et technique
Nicolas Fleury
Thierry Grapotte
chargée de diffusion
Nathalie Untersinger
responsable administratif
Yvon Parnet
avec
Benjamin Abitan
Cyril Bothorel
Xavier Brossard
Yann-Joël Collin
Nicolas Fleury
Catherine Fourty
Thierry Grapotte
Alexandra Scicluna
Sofia Teillet
et en alternance
Marie Cariès
et Sandra Choquet
Christian Esnay
et Éric Louis
Sharif Andoura
et Pascal Collin
Production La Nuit surprise par le jour
Avec le soutien du Maillon, Théâtre de Strasbourg/scène européenne, du Théâtre national de Bretagne/Rennes du CentQuatre/Paris & de l’Aire-Libre de Saint-Jacques-de-la-Lande. Avec l’aide d’Arcadi Île-de-France / Dispositif d’accompagnements
L’Adami, société des artistes-interprètes, gère et développe leurs droits en France et dans le monde pour une plus juste rémunération de leur talent. Elle les accompagne également avec ses aides aux projets artistiques.
Remerciements à l’Espace Renaudie et Jérémie Clément, au Théâtre Paris-Villette et Patrick Gufflet, à Martine Philippe et à la Grande Halle de la Villette.
durée > 3h avec entracte
Théâtre des Quartiers d’Ivry
03 > 30 NOV 2014 / Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
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