Dans La Flèche, l’auteur et metteur en scène Guillaume Mika aborde Frederick Winslow Taylor, le théoricien de l’Organisation Scientifique du Travail, d’une manière passionnante et inattendue. Loin des chemins balisés du biopic, entre comédie, théâtre de l’absurde et science-fiction.
« Il y a deux manières de faire : la bonne… et… les mauvaises », disait Frédérick Winslow Taylor (1856-1915). Après une introduction en forme de biographie expéditive de l’homme que l’on connaît surtout « par le biais des manuels d’histoire de 4ème et le système qu’il a mis en place : le Taylorisme », Guillaume Mika nous prévient au nom de sa compagnie Des Trous dans la tête : « d’une certaine façon, pour évoquer son parcours, on pourrait dire qu’on a choisi… toutes les mauvaises ». Selon les principes du management scientifique établis par Taylor du moins, tels que la séparation entre conception et exécution du travail, standardisation des outils et des tâches et primat du rendement sur tout autre référentiel. Nourrie de références multiples, empruntant autant au registre de la comédie qu’à celui de la science-fiction, La Flèche est une « biographie fantaisiste ». C’est une pièce qui prend ses libertés avec l’Histoire pour mieux éclairer l’ici et maintenant.
À peine terminée cette entrée en matière qui pose les bornes de la fiction dans La Flèche, et fournit des indices sur son rapport au réel, Guillaume Mika met entre parenthèses sa fonction de metteur en scène pour endosser le rôle principal de sa pièce. La troisième qu’il crée à la tête de sa compagnie fondée en 2013, après une adaptation des Démons de Dostoïevski et de La Ballade du Minotaure de Friedrich Dürenmatt, en parallèle de créations vidéo pour les spectacles d’Hervé Pierre, de la réalisation de courts-métrages de fiction et de projets musicaux. Comme Frédérick Winslow Taylor, surnommé « La Flèche » dans l’entreprise de pompes hydrauliques où il fait son entrée dans la vie professionnelle en tant que machiniste, Guillaume Mika multiplie les approches du lieu qui l’intéresse. Il fait de la scène un laboratoire, aux finalités toutefois très différentes de celui où Taylor, qui avant de mettre au point les bases de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) a mis au point des inventions méconnues.
Dans La Flèche, l’imaginaire est mis au travail, alors que dans la pensée de Frederick Winslow Taylor et celle des théoriciens du managements scientifique qui lui succèdent, elle lui est soumise. Dès que Maxime Mikolajczak entre en scène, déclenchant au passage un détecteur dont le son et la lumière rythmera la pièce –, la part fantaisiste du spectacle est évidente. « Ah bah ça y est, tu l’as réparée la buzette, c’est bien. Coucou mon booboom. Ça venait du Totem électrique, non ? », lance le comédien qui incarne le personnage de Noll, le collègue de Fred dans le cadre d’une recherche mystérieuse. Le langage du protagoniste est à l’image de la scénographie de Zoé Bouchicot dans laquelle il se déploie : il est contemporain, plein d’imagination. C’est donc clair d’emblée, à travers le Fred de Guillaume Mika et les deux autres personnages de sa pièce, nous en apprendrons moins sur Taylor lui-même que sur les mécanismes de sa pensée, et sur les transformations qu’elles ont engendré dans le travail et les comportements.
L’arrivée de l’étrange Hadaly (excellente Heidi Eva Clavier) fait basculer la pièce, jusque-là plutôt comique – mention spéciale au jeu de fléchettes, qui offre aux comédiens de délicieux espaces d’impro – dans le fantastique. Avec sa démarche et sa parole robotiques – Noll la soupçonne d’ailleurs de ne pas appartenir à l’espèce humaine –, l’assistante fait planer sur la scène une atmosphère étrange. Construite autour de la fabrication d’une machine aussi complexe qu’absurde – une sorte de cinématographe à pédales, qui rappelle combien la récente invention du cinéma a influencé Taylor –, la fiction donne subtilement à voir l’évolution des rapports entre les personnages. Métaphore de la naissance de l’Homme nouveau, La Flèche est remarquable en tous points. En se penchant sur un rationaliste d’hier, Guillaume Mika entre dans la cour des grands rêveurs d’aujourd’hui et, n’en doutons pas, de demain.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
La Flèche
Conception et mise en scène : Guillaume Mika
Collaboration artistique : Samuel Roger, Léa Perret
Création lumières : Fanny Perreau
Régie lumière : Diane Guérin
Scénographie : Zoé Bouchicot
Dessins : Mathilde Cordier
Costumes : Aliénor Figueiredo
Collaboration vidéo : Guilhaume Trille
Collaboration au mouvement : Violeta Todo-Gonzalez
Administration : Shanga Morali / Mozaïc
Avec : Guillaume Mika, Heidi-Eva Clavier, Maxime Mikolajczak
Production : Cie Des Trous dans la Tête
Co-production : Théâtre Joliette – Scène conventionnée pour les expressions et écritures contemporaines, Théâtre de Vanves, Théâtre Liberté – Scène nationale de Toulon
Aide à la production : Beaumarchais-SACD
Accueils en résidence : Le Cube – Studio théâtre d’Hérisson, CENTQUATRE-PARIS, le Lieu – Gambais
Soutien : La Comédie-Française
Remerciements : l’association DodesKaden, Julie Aminthe, Alexis Boullay et Marie de BasquiatLa compagnie Des Trous dans la Tête est soutenue financièrement par la DRAC PACA et le Conseil départemental du Var. Guillaume Mika bénéficie du dispositif d’accompagnement A.V.E.C (ARCADI, théâtre de Vanves, bureau de production Altermachine).
Guillaume Mika est lauréat de la bourse Beaumarchais SACD en aide à l’écriture de la mise en scène 2017 pour La Flèche
Durée : 1h40
Spectacle vu au Théâtre de Vanves le 21 novembre 2019Théâtre de la Reine Blanche (Paris)
Du 3 au 7 novembre 2021
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