Spectacle de toute beauté en ce moment sur les planches du Rond-Point, La Chute des anges entraîne dans un univers crépusculaire où l’humanité se disloque. A la lisière du cirque, du théâtre et de la danse, Raphaëlle Boitel poursuit son exploration transdisciplinaire et poétique.
Pour les afficionados de la sacro-sainte piste circulaire, passez votre chemin, Raphaëlle Boitel déploie depuis presque dix ans des spectacles de différentes envergures dans des configurations frontales propres au théâtre. Que ce soit à la Grande Halle de la Villette où on l’a découverte avec L’Oublié(e), son premier opus qui a donné son nom à la compagnie, à la Scala avant le Covid où elle présentait un magnifique hommage au cirque (5es Hurlants) et actuellement sur le large plateau de la salle Renaud-Barrault du Théâtre du Rond-Point, Raphaëlle Boitel place certes les outils circassiens au cœur de ses créations mais elle les frictionne toujours avec ceux du théâtre et de la danse en particulier pour aboutir à des œuvres extrêmement visuelles et organiques, moins oniriques et narratives que celles de James Thierrée, cousin dans le genre, dont elle fut l’interprète et dont on sent lointainement l’héritage.
La Chute des anges poursuit dans la veine poétique et mélancolique qui lui est propre, du côté des clairs-obscurs qu’elle affectionne (ainsi que son fidèle collaborateur Tristan Baudoin qui les maîtrise à la perfection) mais explore pour la première fois un territoire englouti par l’ombre, une humanité mécanisée qui peine à communiquer. Dans ce paysage en noir et blanc où les saillies d’humour rappellent le cinéma muet avant le parlant, les corps s’expriment dans une gestuelle à mi-chemin entre l’automate et l’expressivité des acteur.rices burlesques d’antan sur une composition originale sombre et entêtante. On pense à Marie-Claude Pietragalla dansant en solo sous la direction de Carolyn Carlson sur une musique de René Aubry dans Don’t look back qui exhalait ce même genre de noirceur et d’expressionnisme cinématographique autant que ce sentiment d’angoisse et d’urgence.
Ici, ils sont sept au plateau, citadins pressés en manteaux noirs, anges tombés d’on ne sait quel ciel épais et sans astres, échos scéniques à ceux que Wim Wenders imagina dans Les Ailes du désir. Noyés dans l’anonymat urbain, ces silhouettes interchangeables, figures errantes et tragiques, sont éclairées en contre-jours, latéraux et poursuites mobiles. Car dans ce spectacle sans décor ou presque, le dispositif lumineux tient une place particulière, fondamentale et dynamique. Tendus vers cette poignée de terriens esseulés, en mal de contact, incapables de se parler en face à face, les projecteurs sont partie prenante de la chorégraphie, ils dialoguent avec les interprètes dans un ballet robotisé tantôt drôle tantôt inquiétant. Tels des bras de métal géants jouant avec ces personnages aux mouvements désarticulés, c’est un purgatoire sans horizon, une nuée de pollution, un néant nappé de nuages qui crache ses habitants dans des marches et des courses éperdues. Comme des pantins sans tête, ils dessinent des trajectoires qui se croisent mais ne se rencontrent jamais totalement, assoiffés de l’autre comme une inaccessible étoile. Il y a celle qui chuchote sans cesse vers on ne sait quel inconnu. Parle-t-elle à la lumière dont on ne voit pas la source ? Avec qui, quel au-delà essaie-t-elle désespérément de communiquer ? Et que veut-elle dire de si important, de si essentiel, de si urgent ? On ne le saura jamais. Comme cet homme qui tente de parler sans qu’aucun mot ne sorte de sa gorge, juste des cris inarticulés qui se muent bientôt en sons. Chacun est dans sa bulle, l’humanité est pétrifiée dans une mécanique imparable qui joue contre elle. Et pourtant ce n’est pas faute d’essayer d’être ensemble et de se comprendre. Tendre vers l’autre et l’ailleurs, tenter ce chemin difficile, là est l’enjeu.
Raphaëlle Boitel et Tristan Baudoin réalisent un spectacle sublime et pénétrant, sculpté de lumières et de fumées où les corps lévitent sur quelques rares agrès qui bougent. Un mât suspendu qui tourne en même temps que son acrobate prise dans le mouvement infini de son tourbillon, une barre qui frappe violemment le sol à intervalle régulier comme pour mieux échapper à quiconque tenterait de se l’approprier. Une passerelle suspendue, horizontale et mouvante, sur laquelle s’agrippent nos anges déchus. Les agrès semblent avoir leur vie propre et la chorégraphie des corps en hauteur entre en tension avec la gravité qui règne à terre dans un mouvement permanent entre l’appel céleste et ses mystères irrésolus et le sort d’une humanité qui s’est perdue elle-même.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
La chute des anges
Mise en scène et chorégraphie Raphaëlle Boitel
Collaboration artistique, scénographie, lumière Tristan Baudoin
Musique originale, régie son et lumière Arthur Bison
Costumes Lilou Hérin
Accroches, machinerie, complice à la scénographie Nicolas Lourdelle
Interprètes Alba Faivre ou Marie Tribouilloy, Clara Henry, Loïc Leviel,
Emily Zuckerman, Lilou Hérin ou Sonia Laroze,
Tristan Baudoin, Nicolas LourdelleProduction Cie L’Oublié(e) – Raphaëlle Boitel
Coproduction OARA (Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine) • Agora PNC Boulazac Aquitaine •
Le Grand T • Théâtre de Loire-Atlantique • Peak Performances Montclair (USA) •
Plateforme 2 pôles cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg •
Cirque Théâtre d’Elbeuf • Le Carré Magique • PNC en Bretagne/Lannion •
Le Grand R scène nationale de La Roche-sur-Yon • Carré Colonnes à St Médard-en-Jalles et Blanquefort •
Relais Culturel d’Argentan • Les 3T scène conventionnée de Châtellerault •
Maillon • Théâtre de Strasbourg – Scène européenneSOUTIEN
Soutiens Ministère de la Culture-DRAC Nouvelle Aquitaine •
Ville de Boulazac Isle Manoire •
Département de la Dordogne • SPEDIDAMAide pour la tournée en Asie Institut Français, Ville de Bordeaux,
Bordeaux Métropole, Région Nouvelle-AquitaineDurée 1 h 10 – tout public dès 10 ans
DATES DE TOURNEE 2022-2023
du 6 au 31 décembre 2022 I Théâtre du Rond-Point, Paris (75)
28 février 2023 I Théâtre Equilibre-Nuithonie, Fribourg (17)
3 et 4 mars 2023 I Théâtre municipal de Grenoble (38)
7 mars 2023 I Espace Albert Camus, Bron (73)
10 et 11 mars 2023 I Le Manège, Maubeuge (59)
14 et 15 mars 2023 I Opéra de Massy (91)
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