Simon McBurney insuffle beaucoup de vie et d’empathie à La Cerisaie de Tchekhov qu’il présentait dans une version pleine de fraîcheur et d’émotion en clôture du Printemps des comédiens à Montpellier.
Dans son ultime pièce, Tchekhov qui sait qu’il va mourir, décrit la fin d’un monde, l’effondrement trépidant d’une famille et, à travers elle, celle de la bonne aristocratie russe sur le déclin à la fin du XIXe siècle. Si Simon McBurney extrait la pièce de son contexte initial, il ravive l’esprit et l’aspect des années 70 en faisant des personnages tchekhoviens qui nostalgisent leur jeunesse une communauté baba cool au style vestimentaire fleuri et au mode de vie bohème. Son adaptation n’est pas poussée au point où Simon Stone a par exemple emmené les Trois sœurs, réécrivant pour ainsi dire tout de Tchekhov. Le geste de modernisation qu’adopte McBurney permet, outre son plaisir ludique, de mettre l’accent sur des thèmes politiques, sociaux et écologiques bien présents dans le texte original et rendus plus percutants encore. Il semblait en revanche dispensable de changer les prénoms des protagonistes. Peu importe. Lioubov s’appelle désormais Amanda tandis que l’entrepreneur Lopakhine est Steven. La première demeure cette femme entière, fugitive et désargentée. Elle représente ici une idée de la contre-culture et de l’utopie seventies tandis que le second apparaît comme une figure notoire matérialisme et du consumérisme.
D’emblée, la représentation n’a rien à voir avec les lectures plates et moribondes de La Cerisaie dont la partition si délicate a paralysé bien les metteurs en scène dont certains de renom. Bien sûr le texte évoque magnifiquement le temps qui passe, irrémédiable, mais chez McBurney, aucun excès d’alanguissement ne vient alourdir le propos. Au contraire sa version est vivifiante, écorchée, ni trop légère ni trop empreinte de gravité. Elle se présente toute en finesse comme une folle et enivrante errance jusqu’à l’extinction annoncée. Sous les ampoules colorées d’une guirlande lumineuse dans un style guinguette qui strille la nuit étoilée, les personnages survoltés écoutent du rock, boivent de l’alcool, fument des cigarettes, dansent et se déchaînent, rient à gorge déployée, pleurent à gros sanglots, se déchirent, s’étreignent. L’ impression de fête qui se dégage du tableau n’évince pas la puissante mélancolie de la pièce comme sa dimension plus douloureuse et angoissée.
Simon McBurney qui dirige pour la première fois la troupe de l’International Theater Amsterdam (ITA) connue pour ses inoubliables productions sous la direction d’Ivo van Hove, peut compter sur des acteurs prodigieux. Virtuoses du sentiment, ils savent donner tout le relief nécessaire à leur personnage à la fois grotesque et attachant et leur conférer même une douce folie. Si bien qu’aucun ne semble secondaire. McBurney est décidément très fort pour orchestrer la choralité. Dans un registre de jeu à fleur de peau, ils sonnent toujours vrai. Totalement éloignée des interprétations superficielles où la coquetterie prédomine inutilement, Chris Nietvelt campe une femme éperdue et engagée, merveilleusement exubérante, un brin déguingandée, aussi bien irritante qu’émouvante. Gijs Scholten van Aschat fait un Lopakhine déterminé, emporté, parfois brutal, parfois plus tendre.
La réussite de la mise en scène et des acteurs est de donner toute la profondeur et la plénitude à une pièce qui repose sur le vide. Un simple plancher de bois encadré d’une large pelouse et d’un cyclorama permet d’évoquer l’aspect confiné et désolé de la Cerisaie, ce domaine voué à disparaître. Ce large espace qui progressivement transpire l’abandon devient le terrain de tension et de décompression où la vie déborde comme la mémoire. Les traumas resurgissent, comme l’enfant mort noyé qu’Amanda a eu et perdu autrefois. Celui-ci apparaît en petit veston et culotte courte. Un ajout parmi tant d’autres qui témoigne de la sensibilité de l’ensemble. Mais même hantée par la mort, cette Cerisaie respire bel et bien la vie.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Mise en scène : Simon McBurney
Avec : Chris Nietvelt, Gijs Scholten van Aschat, Majd Mardo, Bart Slegers, Janni Golsinga, Eva Heijnen, Steven van Watermeulen,
Emma Josten, Robert de Hoog, Hugo Koolschijn, Celia Nufaar, Achraf Koutet
Auteur : Anton Tchekhov
Dramaturgie : Peter Van Kraaij
Scénographe : Miriam Buether
Lumière : Paule Constable
Son : Pete Malkin
Video : Will Duke
Assistant à la mise en scène : Olivier Diepenhorst
Assistant scénographie : Ramón Huijbrechts
Conseil casting : Hans Kemna
Coiffure : David Verswijveren
Costumes : Wim van Vliet
Publicité : Selman Aqiqi
Photo : Jan Versweyveld
Spectacle en néerlandais surtitré en français.Printemps des Comédiens 2019
29 et 30 juin – PREMIERE EN FRANCE
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