Blessée en scène mardi dernier, la stupéfiante Aušrine Stundyte, qui avait dû déclarer forfait après l’entracte et mettre ainsi fin prématurément à la représentation, a retrouvé hier soir le plateau de l’Opéra Bastille. Elle a médusé dans le rôle-titre du chef-d’oeuvre de Chostakovitch, portée par la direction incandescente d’Ingo Metzmacher et la mise en scène de Krzysztof Warlikowski. En exacerbant la sexualité et la cruauté de l’oeuvre, le spectacle glace autant qu’il étreint.
L’audacieux metteur en scène Krzysztof Warlikowski présente une vision choc et néanmoins très esthétique de l’opéra de Chostakovitch. Pièce scandaleuse et interdite après sa création car jugée « pornographique » par Staline, Lady Macbeth de Mzensk suinte le sang, le soufre et le stupre. C’est précisément tout ce que porte au plateau le travail viscéral de l’artiste polonais qui place l’oeuvre entre les murs froidement carrelés d’un abattoir où pendent à des crocs les carcasses de porcs décharnés. Cette faïence blanche et luisante dissimulée derrière un rideau rouge sang accueillera les festivités d’un mariage prenant les attraits d’un risible cabaret et servira de surface de projections aqueuses lors du tragique dénouement. Un étroit couloir grillagé tournant sur lui-même suggère l’oppression étouffante du personnage féminin et bientôt le wagon dans lequel elle sera déportée. Sur scène s’incarnent explicitement, sauvagement même, la frustration, l’abandon, la passion, la destruction à travers une série de corps-à-corps musclés et un érotisme bestial largement évoqué dans la partition (les glissandos des trombones mimant la fin du coït !)
L’admirable direction d’Ingo Metzmacher garde le contrôle sur des déferlements sonores savamment dosés et spatialement organisés. Toujours très à l’aise dans la musique du XXe siècle, le chef cultive avec densité un lyrisme sombre, capiteux et ravageur qui met en valeur la cinglante somptuosité de cette musique. Il en fait surgir la violence rugueuse mais aussi le sarcasme, la sensuelle beauté et la tragique fatalité.
Il faut, pour porter un telle œuvre, compter sur une distribution exceptionnelle. Solistes et chœurs l’ont totalement été. Très en voix et fendant habilement son image de ténor romantique, Pavel Cernoch est stupéfiant en tombeur et violeur invétéré à l’allure de cow-boy rétro. Dmitry Ulyanov campe un Boris lubrique solidement charismatique. Il faut mentionner les magnifiques basses que sont Krzysztof Baczyk et Alexander Tsymbalyuk dans les rôles du Pope et du vieux bagnard.
Si Krzysztof Warlikowski entretient des affinités aussi éloquentes avec les héroïnes féminines les plus subversives de l’opéra (Iphigénie, Emilia Marty, Médée, Popée, Lulu, bientôt Salomé…) qu’il érige autant au rang d’icônes que d’énigmes, c’est qu’il a trouvé en Mireille Delunsch, Angela Denoke, Nadja Michael, ou Barbara Hannigan non pas des cantatrices ronflantes et policées mais des interprètes totalement embrasées, hallucinées, jusqu’au-boutistes. Aušrine Stundyte est de cette trempe-là. La soprano lituanienne fait ses débuts à l’Opéra de Paris dans un rôle qu’elle maîtrise à la perfection, l’ayant déjà chanté entre autres dans une mise en scène de Calixto Bieito pour qui elle est une muse. Elle est à nouveau sensationnelle. Voix rauque et rayonnante, silhouette brune, frêle et combative, absolument habitée, tranchante, déchirante, engagée de tout son être, physiquement, intellectuellement, émotionnellement , elle confère à son irréductible Lady Macbeth de Mzensk une totale intensité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Lady Macbeth de Mzensk de Dmitri Chostakovitch
Livret :
Alexandre Preis
Dimitri Chostakovitch – D’après Nikolaï Leskov
Direction musicale :
Ingo Metzmacher
Mise en scène :
Krzysztof Warlikowski
Décors :
Malgorzata Szczesniak
Costumes :
Malgorzata Szczesniak
Lumières :
Felice Ross
Chorégraphie :
Claude Bardouil
Dramaturgie :
Christian Longchamp
Chef des Choeurs :
José Luis Basso
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Avec
Boris Timofeevich Ismailov :
Dmitry Ulyanov
Zinovy Borisovich Ismailov :
John Daszak
Katerina Lvovna Ismailova :
Aušrine Stundyte
Serguei :
Pavel Cernoch
Aksinya :
Sofija Petrovic
Le Balourd miteux :
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Sonietka :
Oksana Volkova
Un Maître d’école :
Andrei Popov
Un Pope, un gardien :
Krzysztof Baczyk
La Bagnarde :
Marianne Croux
Le Chef de la police, le Vieux bagnard :
Alexander Tsymbalyuk
Un Officier :
Sava Vemic
Le Régisseur :
Florent Mbia
Le Portier :
Julien Joguet
Les Contremaîtres :
Hyun-Jong Roh
Paolo Bondi
Antonel Boldan
Le Meunier :
Jian-Hong Zhao
Le Cocher :
John Bernard
Le Policier :
Pierpaolo Palloni
Un Invité ivre :
Fernando Velasquez
3h25 avec 1 entracte
Opéra Bastille – du 02 au 25 avril 2019
Plagiat évident de la mise en scène de Marcelo Lombardero en Argentine 2010.
https://www.youtube.com/watch?v=RBRlqRMCqCI