Pour la première fois depuis sa création, la troupe du Théâtre du Soleil se voit confier à un autre metteur en scène qu’Ariane Mnouchkine. La rencontre alchimique entre ses comédiens cosmopolites et le maître québécois façonne le joyau théâtral de cette fin d’année.
Kanata revient de loin. Annoncée comme l’un des événements du Festival d’automne à Paris, la rencontre entre Robert Lepage et la troupe du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, a bien failli ne pas avoir lieu. En cause, une polémique, née cet été au Canada, autour du sujet que le maître québécois entendait aborder, celui du « génocide culturel » des Premières Nations. Après la controverse provoquée par son spectacle SLĀV, il s’est cette fois vu accuser « d’appropriation culturelle » par des personnalités autochtones, inquiètes de voir leur histoire caricaturée dans un spectacle « stéréotypé » et indignées par l’absence d’acteur indigène dans la distribution. Annulé l’espace de quelques semaines, ce travail long de plusieurs années a finalement pu poursuivre sa route et permet à Robert Lepage de répondre à ses détracteurs de la plus belle des manières, par un théâtre de la réconciliation.
Conscient de l’aspect épineux de la thématique, le metteur en scène a préféré ne pas l’aborder de front. Sous-titré Episode I – La Controverse, Kanata utilise le chemin de la fiction – légère – pour arriver à ses fins et s’interroger sur la place laissée aux descendants des Premières Nations dans le Canada contemporain. Bien avant d’être un spectacle politique, il édifie une magnifique Tour de Babel où les langues – français, anglais, persan, autochtones – et les cultures – des comédiens comme des personnages – se mêlent pour ne faire plus qu’un. A la manière du Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, Robert Lepage, épaulé par le dramaturge Michel Nadeau, construit un enchevêtrement de destins autour de Hastings Street, cette artère de Vancouver où la misère et la drogue sont reines.
Alors que Leyla Farrozhad, restauratrice au musée des Beaux-Arts du Canada, et Jacques Pelletier, commissaire d’exposition, nouent une histoire d’amour devant des tableaux de Joseph Légaré, Ferdinand et Miranda, comédien et artiste peintre français, s’installent à Vancouver pour s’offrir une nouvelle chance professionnelle. Sous l’œil de Tobie, un descendant de Hurons qui réalise un documentaire sur Hastings Street et plus généralement sur les populations autochtones, la jeune femme fait la rencontre de Tanya, une prostituée qui erre dans le quartier à la recherche d’argent pour payer sa drogue. Protégée par Rosa, une travailleuse sociale du centre d’injections tout proche, elle vit sous la menace d’un tueur en série qui a déjà fait disparaître plusieurs dizaines de ses semblables, largement d’origine autochtone, sans que la police, désintéressée du sort de ces laissées pour compte, ne fasse rien.
Carrefour des âmes errantes, Kanata est aussi le point de rencontres des identités dans un Canada qui a longtemps mis sa diversité sous le boisseau. Du comédien français qui cherche à perdre son accent, voire sa culture hexagonale, pour essayer de réussir à cette artiste peintre qui se voit reprocher sa soudaine inspiration provoquée par le malheur de ces femmes autochtones, Robert Lepage donne le change à ses contempteurs et questionne les ravages de l’acculturation. En filigrane, il dénonce cette politique de l’Etat canadien qui, pendant plusieurs dizaines d’années, a forcé les enfants des descendants des Premières Nations à être scolarisés dans des pensionnats, ou à être placés dans des familles d’accueil, quitte à consumer leurs racines, détruire leur identité et compromettre leur avenir.
Tout en subtilité, construite tel un patchwork qui ne trouve sa cohérence qu’à mesure qu’il se construit, sa proposition est propulsée par le cosmopolitisme de la troupe du Théâtre du Soleil. Venus des quatre coins du monde, les comédiens empoignent le texte originel à la lumière de leur propre vécu, personnel ou scénique, et haussent leur niveau de jeu. Apparemment aux antipodes, les galaxies théâtrales de Lepage, féru de magie technique, et de Mnouchkine, adepte du théâtre artisanal, s’enchevêtrent jusqu’à l’alchimie la plus totale. Avec plus de moyens qu’à l’accoutumée, accompagnée par un dispositif vidéo qui magnifie les passages de lieu en lieu, la troupe est prise dans un mouvement perpétuel, provoqué par des changements de décor incessants, qui donne au spectacle un rythme naturel. Émerge, alors, ce lien qui unit les univers de ces deux maîtres théâtraux, celui qui place, toujours, l’humain au centre de tout. Avec une simplicité rare et une force tranquille, Kanata étreint et bouleverse jusque dans ses ultimes instants. Pour cette dernière « répétition », comme est traditionnellement appelée la première représentation d’un spectacle du Théâtre du Soleil, l’accueil fut triomphal.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Kanata – Épisode I – La Controverse
Mise en scène, Robert Lepage
Avec les comédiens du Théâtre du Soleil, c’est-à-dire, par ordre d’entrée en scène : Shaghayegh Beheshti, Vincent Mangado, Martial Jacques, Man Waï Fok, Dominique Jambert, Sébastien Brottet-Michel, Eve Doe Bruce, Frédérique Voruz, Sylvain Jailloux, Astrid Grant, Duccio Bellugi-Vannuccini, Owid Rawendah, Taher Baig, Aref Bahunar, Jean-Sébastien Merle, Shafiq Kohi, Saboor Dilawar, Maurice Durozier, Sayed Ahmad Hashimi, Seear Kohi, Miguel Nogueira, Ghulam Reza Rajabi, Alice Milléquant, Arman Saribekyan, Nirupama Nityanandan, Andrea Marchant, Agustin Letelier, Camille Grandville, Ana Dosse, Aline Borsari, Wazhma Tota Khil, Aref Bahunar, Samir Abdul Jabbar Saed
Dramaturgie, Michel Nadeau
Direction artistique, Steve Blanchet
Scénographie et accessoires, Ariane Sauvé avec Benjamin Bottinelli, David Buizard, Pascal Gallepe, Kaveh Kishipour, Etienne Lemasson, Martin Claude et l’aide de Judit Jancsó, Thomas Verhaag, Clément Vernerey, Roland Zimmermann
Peintures et patines, Elena Antsiferova, Xevi Ribas, avec l’aide de Sylvie Le Vessier, Lola Seiler, Mylène Meignier
Lumières, Lucie Bazzo, avec Geoffroy Adragna, Lila Meynard
Musique, Ludovic Bonnier
Son, Yann Lemêtre, Thérèse Spirli, Marie-Jasmine Cocito
Images et projection, Pedro Pires, avec Etienne Frayssinet, Antoine J. Chami, Vincent Sanjivy, Thomas Lampis, Gilles Quatreboeuf
Surtitrage, Suzana Thomaz
Costumes, Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran
Coiffures et perruques, Jean-Sébastien Merle
Souffleuse et professeure de diction, Françoise Berge
Assistante à la mise en scène, Lucile Cocito
Production Théâtre du Soleil (Paris), avec le Festival d’Automne à Paris
Coproduction Printemps des Comédiens (Montpellier) ; Napoli Teatro Festival Italia
Coréalisation Théâtre du Soleil ; Festival d’automne à ParisLe développement du projet a bénéficié de l’apport d’Ex Machina ; à ce titre, ont aussi participé à la création : David Leclerc (vidéo), Olivier Bourque et Mateo Thébaudeau (direction technique), Benoît Brunet-Poirier (régie vidéo), Gabrielle Doucet (réalisation du tableau), Virginie Leclerc (accessoires), Viviane Paradis (production).
Avec le soutien des programmes de résidence du Centre des Arts de Banff, Alberta (Canada) et de l’action culturelle de l’Université Simon Fraser Woodward, Vancouver (Canada).Remerciements aux élèves de 4e et 5e année de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs et à leurs professeures Elise Capdenat et Annabel Vergne, aux élèves du diplôme de technicien des métiers du spectacle du Lycée Léonard de Vinci (Paris) et à leurs professeurs Anne Bottard et Franck Vallet, ainsi qu’à Mordjane Djaouchi (conseil en acrobatie).
Durée : 2h30
Théâtre du Soleil, dans le cadre du Festival d’automne à Paris
du 15 décembre 2018 au 17 février 2019
Visiblement ce monsieur n’a pas assisté à la même représentation que moi qui me suis affreusement ennuyée dès le 4e tableau. Tous ces déménagements permanents de petites scènes qui au fil du temps, du commissariat aux bureaux des services sociaux m’ont davantage fait penser à un film de série B qu’à une magie… Par ailleurs, un grand nombre de clichés viennent, loin de montrer une « acculturation, renforcer des images toutes faites sur les Chinois avides (le fric), pourvoyeur de drogues et adeptes du Tai Chi en costume de soie blanche. Sans compter l’incontournable vision de la cabane au Canada etc. Une imagination pauvre et une réponse minable à ses détracteurs quand la jeune française se précipite sur une seringue puisque pour parler des « noirs » il faut être noir, des juifs faut être juif et des drogués, faut se droguer. « alors je vais me droguer !!! » Quelle finesse de la pensée, en effet !!!