Marginale, icône de l’underground, amie et muse de Nan Goldin, Cookie Mueller a laissé derrière elle, outre une trainée de souffre, quelques livres dont Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir, son autobiographie. Justine Heynemann s’en empare et croque en un spectacle pétaradant et condensé une vie fiévreuse et sans filtre. Au plateau, Eléonore Arnaud est un feu d’artifice.
Qui connait un peu l’œuvre photographique de Nan Goldin a déjà croisé sa chevelure en bataille, ses yeux immenses et cernés de noir, tantôt embués d’alcool ou d’une tristesse sans fond tantôt espiègles et rieurs. Avant de mourir à l’âge de 40 ans du VIH, Cookie Mueller a vécu à cent à l’heure, elle a brûlé la vie par les deux bouts avec une insolence et une liberté folle, testé toutes sortes de drogues, changé de métier comme on change de chemise, côtoyé l’underground américain des années 70-80, de Jim Morrison à Patti Smith en passant par John Waters et Jimi Hendrix. Dans une époque fracassante gonflée à l’énergie phénoménale véhiculée par les mouvements de la contre-culture new-yorkaise et laminée par l’arrivée du Sida, Cookie Mueller est un personnage, une comète et sa vie est un roman, une constellation de rencontres et d’anecdotes, grotesques, abracadabrantes, sans cesse sur le fil du rasoir entre vérité et affabulation, risque et insouciance. Un joyeux cocktail de scènes que la diva destroy a consigné dans des écrits tout au long de son existence fulgurante. Alors quand la metteuse en scène Justine Heynemann croise la route de son destin atypique via la lecture de son ouvrage phare à forte portée autobiographique, au titre énigmatique et percutant, la rencontre est instantanée. Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir sera un spectacle car Cookie Mueller est spectaculaire, tout simplement.
Et il est vrai que Justine Heynemann a le goût des personnalités féminines flamboyantes, elle n’aime rien tant que sublimer des trajectoires de femmes bouillonnantes, volontaires, en révolte, entremêlant théâtralité et musicalité à même le plateau. Son théâtre se plaît à dérouler une esthétique onirique, faite de paillettes et de confettis, de numéros proches du cabaret, à titiller notre imaginaire collectif et fantasmatique et amener le divertissement et l’humour du côté obscur du drame et du romantisme noir. Cookie va dans le sens de ses précédents spectacles (Les Petites Reines, Songe à la douceur, P.U.N.K.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres) et annonce le prochain, une adaptation de la BD de Pénélope Bagieu, Culottées, programmé au Studio-Théâtre de la Comédie-Française. Car ces derniers temps, Justine Heynemann puise dans la littérature (dans les romans de Clémentine Beauvais notamment), dans les écrits alternatifs (De fringues, de musique et de mecs de Viv Albertine), la matière de ses adaptations théâtrales. Elle va chercher le théâtre ailleurs que dans son répertoire pour lui insuffler vitalité et souffle nouveau, elle trouve son inspiration dans des aventures intrépides et juvéniles, tantôt purement romanesques et fictionnelles, tantôt autobiographiques mais néanmoins gorgées d’une dimension épique et marginale. Justine Heynemann fuit l’ordinaire et le banal et derrière chacune de ses créations, elle traque le mythe à l’œuvre dans la narration. Cookie ne déroge pas à la règle mais il la resserre. Sur le petit plateau du fameux Théâtre de la Huchette, le show se fait à deux, c’est un seul en scène dédoublé, réduit à une comédienne et un musicien tous deux tout terrain qui nous prennent par la main.
Et pourtant, la traversée est rocambolesque, elle nous entraîne de Baltimore à New-York en passant par l’Italie, fait vibrer les atmosphères, que l’on soit dans les bas-fonds d’une boîte de strip-tease ou sur les bas côtés d’une autoroute la nuit, au chevet d’un enfant qui s’endort ou sur le tournage d’un film azimuté. Avec rien, quelques changements de costumes affriolants, une chaise, un micro, un rideau à paillettes qui se transforme en traine de sirène, la comédienne Eléonore Arnaud attrape le rôle avec un inénarrable brio et scotche l’auditoire. A elle seule, elle donne corps aux mille vies de Cookie, gouailleuse, énergique en diable, capable de nous émouvoir aux larmes et de provoquer l’hilarité générale, bête de scène magistrale qui tournoie, virevolte, nous harangue, se jette au sol et dans chaque situation à corps perdu. A ses côtés, Valérian Béhar-Bonnet lui donne la réplique musicale à coup de guitare électrique et de dialogues en pointillés avec un mélange de flegme, d’ironie, de distance dans le jeu qui fait tout le sel de sa présence en contrepoint.
Cookie est un seul en scène qui l’éclaire post mortem. Un écrin pour cette femme incroyable au surnom de biscuit qui voulait appeler son fils Noodles. Un plateau miniature pour ses rêves immenses et sa vie tonitruante. Cookie, fille, femme, amie, mère, muse, accumulant les jobs comme on enquille les rôles, gogo danseuse à ses débuts, actrice à ses heures perdues, chroniqueuse santé ou critique d’art, transgressive jusqu’au bout des ongles, Cookie réanimée par Eléonore Arnaud qui trouve là un rôle à sa (dé)mesure, éclatante de bout en bout, élastique, acrobatique, sensuelle et tapageuse, irrésistible. Et rend hommage, trente-cinq ans après sa disparition, à cette indomptable fascinante et terriblement attachante.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Cookie
D’après les recueils de textes Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir et Comme Une version arty de la réunion de couture de Cookie Mueller
Avec Éléonore Arnaud accompagnée de Valérian Béhar-Bonnet ou James Borniche
Mise en scène : Justine Heynemann
Adaptation : Justine Heynemann et Éléonore Arnaud
Traduction : Romaric Vinet-Kammerer (Éditions Finitude)
Scénographie : Marie Hervé
Lumières : Fouad Souaker
Assistante à la mise en scène : Jinane DolbecDurée : 1h10
Du 8 décembre 2023 au 30 mars 2024
du mardi au samedi à 21h
Théâtre de la Huchette, Paris (75005)Tournée 2024
Vendredi 19 janvier 2024 à 20h30, La Grange Delux, Le Locle (Suisse)
Vendredi 26 janvier 2024 à 20h30, Théâtre de Chatel-Guyon (63)
Mardi 5 mars 2024 à 20h30, Théâtre de Cresco, Saint-Mandé (94)
Jeudi 7, vendredi 8 et samedi 9 mars 2024 à 20h30, Théâtre des 2 Rives, Charenton-le-Pont (94)
Vendredi 15 mars 2024 à 20h00, Salle Jean-Pierre Bacri, Conches-en-Ouche (27)
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