Variation bouffonne autour de la célèbre pièce de Shakespeare, Juliette et Roméo sont morts décline l’amour, la mort et l’intensité dans une forme légère qui questionne ces rapprochements avec un mélange de pertinence et de trop plein. A la barre, Céline Champinot dirige trois interprètes remarquables à l’expressionnisme fascinant.
C’est dans un lycée des Lilas qu’on découvre cette petite forme itinérante, librement inspirée par Shakespeare et ses amants de Vérone. Et Roméo et Juliette devient Juliette et Roméo sont morts sous la plume acerbe et post me too de Céline Champinot qui détricote les tenants et aboutissants d’une des histoires d’amour les plus célèbres du monde. Qui commence mal et finit mal. Car nul besoin de le préciser, ce couple légendaire trouve la mort au seuil de l’amour, met fin à ses jours dans des circonstances tragiques, portant au firmament l’étroit lien qui unit Eros à Thanatos. C’est donc devant un public essentiellement adolescent que se décline ce palimpseste étonnant, empruntant au théâtre de tréteaux son dispositif de proximité, questionnant depuis aujourd’hui le suicide annoncé de ces amoureux transis à peine sortis de l’enfance, dont le malheur aura traversé des siècles.
Trois interprètes se présentent à nous avec, sous le bras, une photo datée encadrée, portrait de leur jeunesse. Sur chaque cliché, ils ont 14 ans, fréquentent assidument le club-théâtre du lycée et répètent Roméo et Juliette avec ce mélange de fougue et de flegme lié à la puberté. Le spectacle se situe dans cet entre-deux temporel et opère des allers-retours générationnels. Il questionne le passé et cette propension toute romantique à faire cohabiter l’amour et la mort. Voire à désirer les deux en même temps. Et à partir de ce monument du répertoire, socle en béton de tout un imaginaire encore en vogue et bien ancré, la représentation s’immisce dans le paysage des fantasmes adolescents. Souvent secrète, inexprimée ou révélée dans les pages refuge d’un journal intime ici exhumé et tendu au public à qui voudra bien en lire des extraits, la passion fait des ravages dans le cœur des ados. Et ce n’est pas l’intime qui est dévoilé dans ces pages rescapées du passé mais bien l’universalité des sentiments et des excès qui vont avec. Colère, jalousie, désespoir, l’intensité est le maître mot à cet âge-là, la déclinaison irrémédiable de l’amour. Pas d’amour sans envie de mourir d’amour. Pas de suicide sans (dé)raison amoureuse. Toute tentative de passage à l’acte est un appel à l’aide masqué et l’amour se met en scène dans des simulacres de disparition. L’amour, c’est du théâtre, du cinéma, du drame romantique, de la littérature. L’amour, ça s’étale, comme la confiture, comme ces acteur.ices qui se pâment sur ce promontoire en forme de croix, ce caveau de théâtre, avec rideaux argentés, pour bien nous montrer que tout ça n’est qu’un jeu, que tout ça sent un peu la poussière d’un théâtre à l’ancienne.
Et notre trio d’interprètes, Elise Marie, Adrienne Winling et Benjamin Abitan, formidables d’engagement, visages blanchis et grimaçants, mimiques exacerbées lorgnant du côté de la commedia d’elle arte, de se donner à bloc, se vautrer dans l’outrance d’un jeu naviguant à vue sur la gamme du grotesque à la bouffonnerie pure. La performance mérite d’être saluée mais le burlesque, l’expressionnisme appuyé et l’excès sonore virent à la crispation et l’effet touche ses limites dans un registre qui manque cruellement de sincérité. Ou du moins qui aurait gagné à nuancer sa palette. D’autant plus que le texte, malgré de beaux élans, finit par tourner en rond sur lui-même à force de ressasser le même propos et à noyer ses intentions dans une trame peu claire qu’on met du temps à cerner. Et si la séquence puisant dans la scène des artisans du Songe d’une nuit d’été est une mise en abyme ingénieuse et intéressante, on doute que la référence soit accessible à toutes et tous. Se pose alors la question de l’adresse et de la réception de ce projet à destination de la jeunesse. Reste que le spectacle offre une proposition esthétique forte, un angle d’approche singulier et matière à discussion sur un sujet inépuisable et des problématiques brûlantes. Roméo et Juliette sont morts mais ils n’ont pas fini de faire parler d’eux.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
JULIETTE ET ROMÉO SONT MORTS
Forme légère pour l’itinérance et les plateaux
Texte et mise en scène Céline Champinot
Avec Benjamin Abitan, Elise Marie ou Sabine Moindrot, Adrienne Winling
Scénographie Émilie Roy
Lumière Claire Gondrexon
Arrangements musique Antoine Girard
Costumes Céline Champinot
Fabrication costumes et poupées Marie Delphin, atelier costumes du Théâtre des 13 vents
Construction Christophe Corsini, atelier décors du Théâtre des 13 vents
Production Théâtre des 13 vents CDN de Montpellier, groupe LA GALERIE
Diffusion La Loge (Alice Vivier, Coralie Harnois)
Administration Geneviève Bussière
A partir de 15 ansDurée : 1h15
dans le cadre de la saison du Théâtre Public Montreuil
Lundi 11 mars → Lycée Polyvalent Paul-Robert, Les Lilas
Mardi 12 et mercredi 13 mars → Lycée Jean-Jaurès, MontreuilCDN des Treize Vents à Montpellier
5, 7 ,20 et 22 mars 2024Les 26 et 27 mars 2024
Théâtre de la Vignette – Montpellier
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