Après Strindberg en 2012 au Festival d’Avignon, Juliette Binoche est de retour au théâtre dans une production internationale sous la baguette de Ivo van Hove sous les traits de l’Antigone de Sophocle. Ce spectacle créé au Luxembourg est en tournée. Il sera à la fin du mois d’avril à Paris au Théâtre de la Ville. Nous avons rencontré Juliette Binoche au lendemain de la première à Luxembourg. Elle évoque sa carrière internationale, son travail avec Ivo van Hove, son personnage, la vie, la mort…
C’est votre retour au théâtre après Mademoiselle Julie en 2012 au Festival d’Avignon, il s’agit cette fois d’une version en anglais d’Antigone. Qu’est ce que dicte vos choix ?
C’est un grand mystère. On est pris dans des projets. Ce sont des grandes vagues qui s’offrent à vous. Je n’ai jamais vraiment anticipé mes projets. Cette rencontre c’est produite par le désir du Frank Feitler qui dirige le Théâtre de la Ville de Luxembourg. Il a eu envie de produire un spectacle avec moi avant de quitter la direction du théâtre. J’ai trouvé cela très tendre. Il a demandé au Barbican de Londres et au Théâtre de la Ville de Paris de venir dans la coproduction. J’ai proposé un metteur en scène. J’ai senti un silence dans l’air et à ce moment là, puis est arrivé le nom de Ivo van Hove. Alors on s’est rencontré il y a deux ans et demi. J’ai aimé l’homme, son intelligence et sa sensibilité. Et nous sommes rapidement tombés d’accord sur Antigone.
Avec cette idée de commander une nouvelle traduction à Anne Carson
Oui c’est une femme poète du Canada qui vit aux États-Unis. Il y a tout dans son écriture. C’est actuel, il y a de la poésie. Elle a traduit Sophocle, rien de plus. C’est impressionnant car cela parait contemporain mais cela a été écrit il y a 2500 ans.
C’est une production européenne, c’est la preuve que l’Europe de la culture fonctionne.
Cela fait longtemps que je travaille « à l’européenne » mais ce qui nous lie c’est l’anglais. Il faut se plier à cette idée que c’est le moyen de communiquer avec le plus grand nombre.
J’imagine que c’est une difficulté supplémentaire pour vous ?
Oui lorsque j’avais joué Pirandello à l’Almeida à Londres je pensais que j’allais prendre une grande claque et finalement je me suis senti à la maison parce que j’avais été protégée par le metteur en scène et les acteurs. Je sais que cela a été difficile pour Simone Signoret dans Lady Macbeth ou pour Isabelle Huppert avec Mary Stuart au Barbican. Je m’étais dit « je vais me prendre une grosse claque ! » mais j’avais tellement peur qu’il y a eu une force intérieure en moi qui m’a donné du courage. Et d’ailleurs les critiques furent bonnes. On s’expose en tant qu’étrangère dans le pays du théâtre et de Shakespeare. Ensuite j’ai joué à New-York dans un Pinter et cela a été plus difficile. Et sur cette pièce avec cette tournée mondiale avec Sophocle qui est tellement « Timeless » comme ils disent. C’est éternel.
Ivo van Hove a constitué une troupe. On sent cet esprit sur le plateau
Bien sur. Même si Antigone est une indépendante et on le luis reproche, elle fait partie d’une famille avec sa sœur, son Oncle Créon et le chœur qui compose les citoyens. de Thèbes. C’est la princesse déchue. La tradition des acteurs anglais, c’est d’être ensemble. Il y a moins ce côté starisation que chez nous. C’est facile d’être avec eux.
Comment est Ivo van Hove sur un plateau ?
Il a toute une équipe qui l’entoure, un musicien qui compose pendant les répétitions, un vidéaste, dramaturge qui vient avec des idées. C’est un rouage bien huilé. On avance petit à petit. Il y a une concentration pendant les répétitions, on a le temps de discuter, d’essayer les choses, mais on ne répète pas énormément. Mais on ne répète pas énormément. Ivo travaille au plateau quatre heures par jour pendant cinq semaines. En France c’est au moins deux mois avec un travail à la table. Avec Ivo on va directement au plateau. Cela a été difficile pour moi parce que c’est en anglais, parce que c’est un texte épique. Je n’avais pas de coach pour la prononciation. J’ai trouvé cela difficile mais à la fois je me suis adaptée.
Antigone est une résistante. Est-ce qu’elle vous ressemble ?
Est ce que je dois vraiment répondre ? Oui je pense que je suis une résistante. Dire non c’est important, mais dire oui aussi.
On vit les 24 dernières d’Antigone. Avez-vous pensé à vos 24 dernières heures ?
(silence) Ah mes 24 dernières heures…(silence) C’est drôle parce que hier soir c’est ce à quoi j’ai pensé. Elle est face à sa mort. Et je me suis dit « c’est incroyable, à ma mort je vais sûrement me dire: mais c’est déjà fini ! » Le temps n’existe pas lorsque l’on arrive à la fin. Le temps est abstrait. Au moment de la mort il doit y avoir ce saut dans le vide de se dire que ce n’est pas juste car c’est déjà fini (rires) Bien sur j’y pense. La conscience vient aussi avec ce poids là.
Antigone dit « pourquoi se tourner vers Dieu ». Est-ce que vous vous posez la question ?
En se tournant vers ces lois anthologiques, on se tourne vers des valeurs qui font que l’on ne devient ni fou, ni animal, ni sauvage. On a besoin de valeurs qui nous permettent de nous verticaliser. On doit dépasser notre part animale pour aller vers une partie divine. C’est à nous de trouver notre chemin sans être sectaire, sans être forcément dans des lois religieuses, tout en trouvant notre monde spirituel. Cela fait partie de notre évolution.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON
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