Impressionnante Julie Duval ! Dans L’Odeur de la guerre, la comédienne livre une performance d’actrice saisissante pour raconter un parcours de résilience par le théâtre et la boxe. Le spectacle se joue dans la proximité de la Piccola Scala et l’écrin lui va comme un gant (de boxe, bien sûr !).
Il y a toujours quelque chose de réconfortant à voir que le théâtre peut tenir tout entier dans un corps. Un espace vide (ou presque), une création lumière sur mesure, une chaise éventuellement (ici, un petit banc en fond de scène) et puis c’est tout. Du théâtre à la Caubère ou plus récemment à la François de Brauer (d’ailleurs programmé il y a quelques années à la Scala lui aussi) qui tient dans la puissance d’interprétation du comédien (en l’occurrence ici de la comédienne). N’y allons pas par quatre chemins, Julie Duval est phénoménale et le spectacle entier repose sur ses épaules et sa virtuosité.
Seule en scène, elle y fait naître personnages et situations avec une aisance confondante, une précision au cordeau, une souplesse de jeu de bout en bout réjouissante. Mais ce qui épate le plus c’est sa puissance physique, son rythme, son souffle, la dynamique qu’elle insuffle par son corps au récit d’apprentissage et de vie qu’elle déroule. Car Julie Duval est non seulement une actrice démentielle, mais également boxeuse de formation et c’est par les poings qu’elle débute son histoire et par eux qu’elle la termine. Entre les deux, on aura traversé bon nombre d’embûches, des pathétiques humiliations de collège à la difficulté de trouver sa place en passant par les problématiques familiales et la condition féminine au tournant des années 2000. Partir, insouciante, en boîte de nuit, dans un esprit d’alcool et de fête propice à oublier ses soucis, pour revenir chez soi, vidée, souillée, sidérée par ce que s’octroient les hommes sans consentement. Comment trouver le chemin de soi-même quand celui-ci est outrageusement percuté par ce que l’on appelle désormais « la culture du viol » ? Comment on deale avec la violence de l’intrusion dans nos corps encore en train d’éclore ? Si l’on rit, de bon cœur et souvent, dans ce spectacle survolté qui a la rage de vivre et l’humour chevillé au mental, arme fatale pour s’en sortir, on passe également par des zones glaçantes de bouleversement intime qui confèrent à l’ensemble sa profondeur et sa force de frappe.
L’Odeur de la guerre est un récit de résilience par l’art et le sport, en l’occurrence le théâtre et la boxe, qui pour l’un apporte les mots et la possibilité de s’exprimer, de dire sa propre vérité à travers eux, et pour l’autre, la confiance en soi, la maîtrise de son corps et de sa force physique, la détente dans le combat. C’est un spectacle porteur d’espoir qui aborde un vécu individuel par le prisme de l’entourage. Car on ne se construit pas seul, et c’est toute une constellation de figures pittoresques et drolatiques qui s’invite au plateau : le père, bourru et brutal, mais bourré de bonnes intentions, la mère, débordée, épuisée, dépassée par l’adolescence de ses filles, la grande sœur, complice et distante à la fois, la copine de classe maniérée et vulgaire (inénarrable Dounia qui attire l’hilarité de la salle), la prof de collège qui ramène les pieds sur terre… Et puis il y a celui par qui le viol arrive, anecdotique et traumatisant, pour couronner de violence une adolescence déjà malmenée, compliquée et incomprise. Julie Duval a le mérite de ne pas en faire le point central de son récit, mais plutôt une épine dans le pied sur un chemin déjà ardu, la goutte d’eau qui fait déborder le vase, un point de rupture entre l’enfance et l’âge adulte. Elle n’est jamais dans l’explicite ni le psychologique, elle atomise une vie (la sienne, on imagine, passée à la moulinette de la fiction) par le biais de ses rôles secondaires.
Car on ne se fait pas tout seul. L’éducation, parentale et scolaire, puis les maîtres, le prof de théâtre (et ses conseils existentiels, « Je prends, j’accueille, je transforme ») et l’entraîneur de boxe (sa gouaille et son bagout mémorables), deux points d’ancrage qui l’accompagnent sur sa propre voie, sont les satellites fondamentaux de cette narration diffractée en une multitude de situations, toutes plus croustillantes, drôles, émouvantes et justes, les unes que les autres. Texte et interprétation usent avec délice de la caricature pour brosser des portraits expressifs, esquisser un climat, une ambiance, une personnalité, grossir le trait dans une optique de théâtralisation menée à bien par un duo de metteuses en scène au taquet, Juliette Bayi et Elodie Menant. Le récit passe par le dialogue en permanence, ce qui lui donne une immédiateté saisissante et mobilise une attention active. On en oublierait presque que la comédienne est seule en scène tant elle s’incarne ailleurs et en plusieurs. Pour mieux se trouver elle-même au bout du compte. La guerre, ici, se joue dans son corps meurtri et la boxe devient un possible exutoire pour l’expulser hors de soi tandis que les mots du répertoire dramatique sont des alliés pour la formuler. Qu’elle s’attaque à son sac de frappe, à coup de jambes et de poings ou qu’elle tombe à genoux en récitant les vers hugoliens, Julie Duval nous renverse et nous entraîne dans sa volonté sans faille de rester debout.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
L’Odeur de la guerre
de et avec Julie Duval
Mise en scène Juliette Bayi, Élodie Menant
Collaboration dramaturgie Juliette Bayi, Élodie Menant
Création lumières Thomas Cottereau
Compositeurs Rodolphe Dubreuil, Rob Adans
Chorégraphie Julie CashProduction Scala Productions & Tournées
Durée : 1h15
Vu en juillet 2023 au Festival Off d’Avignon
La Scala Paris
du 29 septembre 2024 au 18 mai 2025
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