Aussi fine comédienne que musicienne, Judith Chemla traque l’énigme de Mélisande, l’héroïne sombre et solaire de Maeterlinck et Debussy, dans un spectacle qui oscille entre théâtre et opéra.
Déjà aux Bouffes du Nord, Judith Chemla incarnait une bouleversante Traviata, la plus célèbre des héroïnes verdiennes, dans une version condensée, hybridée, réinventée, par Benjamin Lazar et Florent Hubert en 2016. La comédienne mettait à la disposition du rôle de beaux moyens vocaux (qui ne sont cependant pas ceux d’une chanteuse d’opéra et ne pourraient rivaliser avec), ainsi qu’une riche palette de jeu. Autant de qualités auxquelles s’ajoutent une intelligence et une sensibilité en scène qui lui permettaient de défendre une très singulière Violetta. A cette figure emblématique de courtisane dévoyée, elle avait conféré une grâce, une fragilité, un mélange de légèreté et de gravité, une belle fragilité, un trouble que l’on retrouve totalement dans son interprétation de Mélisande, où abonde un surplus de sauvagerie viscérale, de violence plus ou moins contenue. Judith Chemla dessine un personnage craintif, rétif, éperdue, aux traits diaphanes et au souffle haletant qui renvoient à l’enfance mais aussi largement empreinte d’une fausse innocence. C’est d’ailleurs sans aucune inadvertance qu’elle perd la bague de fiançailles que Golaud lui a donnée.
Comme la Traviata, Mélisande est scellée sous le poids d’un destin tragique. Une ouverture morbide et mortifère la fait apparaître convalescente, mourante même, couchée dans un lit tiré comme un traineau. L’homme qui l’a trouvée et épousée implore son pardon et réclame la vérité. A la faveur d’un tapage spectaculaire (fracassants coups de gong et de caisse claire, souffle du vent et feuilles volantes), la pièce remonte le temps et donne à voir la rencontre du couple au cœur d’une forêt profonde puis son arrivée au château où règne l’ankylosement. Mélisande s’y morfond et s’y métamorphose en petite femme parée d’un tailleur bon chic bon genre, écartelée entre l’amour fougueux et chevaleresque que lui déclare Pelléas, très clairement et joliment interprété par le ténor Benoît Rameau qui est aussi saxophoniste, et la jalousie destructrice de son époux, Golaud, auquel le comédien Jean-Yves Ruf prête une allure aussi douce que rustre.
Les grandes lignes de l’histoire sont justement restituées dans l’adaptation qui opère un radical resserrage du texte et surtout de la musique, coupée et revisitée avec force percussions et accordéon. Une poignée d’instrumentistes relève brillamment le défi d’éclipser le flux opulent de l’orchestre debussyste gorgé de ses couleurs chatoyantes et sensuelles. Cela est une véritable gageure. Beaucoup plus intimiste, l’exécution musicale demeure finement onirique et tragiquement tourmentée.
La forme scénique que prend le spectacle signé Richard Brunel se veut débarrassée des attributs un brin pesants qui collent à l’opéra (longue chevelure, fontaine miraculeuse, tour, grotte…) mais demeure étonnamment encombrée par un désordre et une trivialité un peu trop appuyés. A l’opposé de l’univers hiératique et glacé propre au symbolisme, la pièce est placée dans un contexte ordinaire et domestique entre cabinet de toilette et chambre à coucher. C’est assez prosaïque que de traiter la scène centrale somptueusement poétique en trio boulevardier avec amant couché sous le lit conjugal où la femme se contorsionne dans la moiteur des bras de son mari somnolent. Toutefois la proposition scénique tient ses promesses en mettant bien l’accent sur l’étrangeté et la modernité du rôle-titre.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Mélisande
DIRECTION MUSICALE ET ARRANGEMENTS
Florent Hubert
MISE EN SCÈNE ET ADAPTATION DU LIVRET
Richard Brunel
DÉCORS ET COSTUMES
Anouk Dell’Aiera
LUMIÈRES
Victor Egéa
DRAMATURGIE
Catherine Ailloud-Nicolas
MÉLISANDE
Judith Chemla
PELLÉAS
Benoît Rameau
GOLAUD
Jean-Yves Ruf
LE MEDECIN
Antoine Besson
Ensemble instrumental
Percussions : Yi-Ping Yang, Harpe : Marion Sicouly, Accordéon : Sven Riondet, Violoncelle : Nicolas SeigleD’après Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy
Nouvelle productionCoproduction Opéra de Lyon et MC2: Grenoble
Coréalisation Théâtre de La Renaissance – Oullins Lyon MétropoleDurée : 1h15
MC2 Grenoble
22 et 23 février 2023Théâtre de La Renaissance – Oullins
du 27 février 2023 au 5 mars 2023Théâtre des Bouffes du Nord
Du 9 au 19 mars 2023
Du mardi au samedi à 20h (relâche le jeudi 16 mars)
Matinée le dimanche 19 mars à 16h
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