Aux manettes de ce spectacle musical roboratif adapté d’une version anglaise à succès, Johanna Boyé orchestre avec maestria la revanche des sœurs Bennet en un cabaret pied de nez au roman original. L’intrigue d’Orgueil et Préjugés est là, certes, mais décalée, assaisonnée d’ironie et de chansons pop, de références à aujourd’hui et d’un féminisme festif. Savoureux.
Récemment racheté par cinq figures emblématiques du paysage du théâtre privé parisien (Pascal Guillaume, Sébastien Azzopardi, Francis Nani et Romain Frobert), le Théâtre Saint-Georges change de cap et, s’il garde la volonté de poursuivre une programmation fédératrice et divertissante, il affirme clairement l’ambition d’apporter un sérieux coup de modernité à ses projets. Preuve en est avec ce spectacle joyeux et coloré signé Johanna Boyé, qui n’a pas son pareil pour faire pulser le théâtre musical – on se souvient du formidable Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty –, ouvrir grand ses bras à un public transgénérationnel et marier l’humour à des sujets sensibles avec une vitalité réjouissante. Orgueil & préjugés… ou presque ne dément pas le talent de la metteuse en scène à réunir une distribution de haute volée, 100% féminine cette fois, sur un tempo pétaradant, autour d’une pièce espiègle en diable inspirée d’un best-seller de la littérature anglaise, le roman éponyme de Jane Austen.
Succès faramineux de la scène londonienne, couronné du prestigieux Laurence Olivier Award for Best Comedy, Pride and Prejudice (sort of) est une réécriture parodique signée Isobel McArthur des aventures des cinq sœurs Bennet et de leur mère. Adaptée en français par Virginie Hocq et Jean-Marc Victor, cette nouvelle version ouvre la seconde moitié de saison du Théâtre Saint-Georges dans une atmosphère de chansons pop et de bonne humeur, qui vient réchauffer l’hiver et les coups durs encaissés par le monde de la culture. Car cette comédie piquante est un bonbon acidulé porté par cinq comédiennes-chanteuses admirables, un tourbillon de scènes drolatiques et enjouées, un cabaret de tubes à danser, un ballet de costumes transformistes et, last but not least, un pavé dans la mare du romantisme sucré, un pied de nez à cette intrigue aussi bien ficelée que désuète et datée où les femmes n’ont pas d’autre destinée que de se marier. « Nous sommes au XIXe siècle », nous rappellent fréquemment, en clin d’œil, les interprètes pétulantes de ce show qui n’omet pas son propos.
Car en reprenant le fil narratif initial du roman original tout en le détournant par la dérision et l’ironie, l’autrice britannique contemporaine crée une distance oxygénante et intègre une dimension critique au cœur même de l’intrigue. D’emblée, le ton est donné et l’angle d’attaque affirmé par nos cinq boute-en-train qui déboulent du public, toutes lumières allumées, pour lancer les festivités : l’histoire va nous être contée par l’armée de domestiques qui officie dans la maisonnée. Gants en latex, balai, plumeau ou débouche WC, pot de chambre et torchon à la main, telle est l’artillerie qui servira à dépoussiérer autant qu’à dégoupiller le scénario gravé dans le marbre. Un bon coup de rafraîchissement, une bonne dose de détergent pour un décapage dans les règles de l’art, et le point de vue décalé de servantes espiègles, aux premières loges des évènements… Tous les ingrédients sont là pour prendre un peu de recul et beaucoup de hauteur quant aux déconvenues et déboires amoureux des cinq sœurs.
D’autant que les personnages masculins de l’histoire sont pris en charge par les mêmes actrices qui jouent la mère et ses filles, et ce procédé non seulement fonctionne du tonnerre, mais apporte lui aussi la distanciation nécessaire à tourner en dérision clichés comportementaux et assignations de genre. En s’emparant de plusieurs rôles avec une virtuosité folle, les membres de la distribution offrent un éventail d’interprétation qui rend grâce à leurs talents. Emmanuelle Bougerol, Lucie Brunet, Céline Esperin, Magali Genoud et Agnès Pat’, accompagnées à la guitare électrique par Melody Linhart, font preuve d’un caméléonisme épatant, d’un sens comique délectable, et chantent divinement. Jamais on ne les avait vues aussi éclectiques, sensuelles et lumineuses. Aux costumes, Marion Rebmann fait une fois de plus des merveilles et habille chaque personnage d’une personnalité bien marquée pour qu’opèrent les changements de rôles avec clarté. Robes, perruques et accessoires campent des figures dessinées, et l’humour s’immisce aussi dans cette parade de silhouettes brossées avec netteté, dans ces coiffures épiques qui, à elles seules, racontent les têtes dures qui les portent. C’est un festival de couleurs et coupes ajustées, et l’on est médusé devant la rapidité des métamorphoses vestimentaires.
Impossible de bouder son plaisir devant tant de virtuosité. Les traits d’esprit côtoient un humour plus gras qui passe crème, c’est un carnaval de situations toutes plus drôles et charmantes les unes que les autres dans une scénographie simple et élégante aux touches de music-hall. La bande-son n’y est pas pour rien dans les réjouissances, les karaokés font swinguer en reprenant des références du répertoire pop britannique (Queen, les Beatles, Kate Bush, Lily Allen, The Clash, Eurythmics…) aux paroles revisitées. Tout n’est que musicalité, fantaisie et truculence débridée, et tout tient dans ce « ou presque » qui fait la différence et fait décoller le roman original vers l’originalité et l’impertinence décapante du cabaret.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Orgueil & Préjugés… ou presque
de Isobel McArthur
Librement adapté du roman de Jane Austen, Orgueil et Préjugés
Adaptation française Virginie Hocq, Jean-Marc Victor
Mise en scène Johanna Boyé, assistée de Stéphanie Froeliger
Avec Emmanuelle Bougerol, Lucie Brunet, Céline Esperin, Magali Genoud, Agnès Pat’, Melody Linhart (guitare)
Scénographie Caroline Mexme
Lumières Cyril Manetta
Costumes Marion Rebmann
Perruques Julie Poulain
Musique Mehdi Bourayou
Chorégraphies Johan NusProduction Ki M’aime Me Suive ; Théâtre Saint-Georges
Durée : 1h30
Théâtre Saint-Georges, Paris
à partir du 24 janvier 2025
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