Au Théâtre du Rond-Point, le comédien-français redonne une âme à cette figure largement éclipsée par l’histoire du cinéma, malgré la trame textuelle trop scolaire de Stéphane Olivié Bisson.
Qui connaît vraiment Max Linder ? Cet homme dont la mémoire collective retient, avant toute chose, qu’il a laissé son nom à un cinéma, le Max Linder Panorama, toujours situé au 24 boulevard Poissonnière, dans le quartier des grands boulevards parisiens. De son art, exercé dans le premier quart du XXe siècle, ne reste aujourd’hui qu’une portion congrue, une centaine de films, sur les plus de cinq cent qu’il avait réalisés, sa famille ayant considéré à sa mort qu’ils étaient tout juste bons à être envoyés au pilon ou enterrés sous la vigne de son Bordelais natal. Afin de laver cet affront de l’Histoire, Stéphane Olivié Bisson a voulu redonner ses lettres de noblesse à celui que l’on présente parfois comme la première star internationale de cinéma, voire comme le mentor de Charlie Chaplin, au cours d’un spectacle dont il serait l’unique vedette.
Pour ce faire, l’auteur et metteur en scène s’est notamment plongé dans les deux documentaires – En compagnie de Max Linder et L’Homme au chapeau de soie – et l’ouvrage – Max Linder était mon père – écrits par la fille du cinéaste, Maud Linder, qui, sa vie durant, s’est échinée à restaurer, et faire redécouvrir, l’oeuvre de son père. Sur la scène du Théâtre du Rond-Point, c’est d’ailleurs à elle que Max s’adresse, ou plutôt au bébé de seize mois qu’elle était encore lorsqu’il a décidé, au tournant de novembre 1925, de mettre fin à ses jours et à ceux de sa femme, Ninette Peters. Dans un clair-obscur travaillé, le réalisateur revient d’entre les disparus pour se raconter, rembobiner sa vie à la manière d’un film, de son enfance girondine à sa mort à l’hôtel Baltimore, en passant par sa boulimie artistique du début des années 1910, ses heures de gloire, ses moments de déboire et sa disgrâce finale lorsqu’il se laissa dévorer par ses propres démons.
Porté par une mise en scène trop sage et monotone, essentiellement fondée sur les quelques jeux de lumière de Bertrand Couderc, le texte tricoté par Stéphane Olivié Bisson paraît, à l’épreuve du plateau, un brin scolaire, proche d’un biopic théâtral qui se contenterait de dérouler les événements d’une vie selon un enchaînement quasi strictement chronologique. Surtout, s’il lève le voile sur les secrets de Max Linder, il peine à ne pas tomber dans l’hagiographie, à ne pas en faire une simple victime de son temps et de son entourage, et à montrer son apport artistique, pourtant clef, dans l’histoire du cinéma. Largement rivé à son sujet, il ne réussit jamais à acquérir un soupçon de distance analytique et critique par rapport à celui qu’il entend décrire, et qui, au soir de sa vie, s’est abandonné à des errements qui soulèvent nombre d’interrogations.
Heureusement, armé de son imperturbable talent, Jérémy Lopez parvient, malgré tout, à porter le spectacle tout entier sur ses épaules. À Max Linder, le comédien-français offre, en premier lieu, un caractère, celui d’un artiste vaillant et d’un homme intensément tourmenté, n’acceptant pas ses déconvenues professionnelles qui, en même temps que l’amour hanté par la jalousie, causeront sa perte. Au long de ce monologue, il habite le plateau comme on entrerait dans la peau d’un personnage pour ne faire qu’un seul avec lui, et sentir battre le pouls d’un cœur trop lourd. Grâce à sa performance, le cinéaste injustement oublié retrouve alors une voix, une vie, une aura, mais aussi ce petit supplément d’âme qui permet de reconnaître les vrais artistes.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Max
Texte et mise en scène Stéphane Olivié Bisson
Avec Jérémy Lopez de la Comédie-Française
Scénographie Erwann Creff
Lumières Bertrand Couderc
Vidéo Allan Hové, Kristijonas Dirse
Musique originale Eric CaponeProduction Le Ksamka
Coproduction Théâtre national de Nice – CDN Nice Côte d’Azur ; La Comédie de Picardie, Amiens ; Coq Héron Productions ; Lawrence Organisations ; MF Investissement ; ATS Production ; Théâtre Comédie Odéon ; Projet Linder – Institut Lumière
Remerciements à la Comédie-Française pour le prêt des costumes
Avec le soutien du Théâtre du Rond-PointMax est publié aux Editions Cambourakis.
Durée : 1h30
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 20 septembre au 9 octobre 2022La Comédie de Picardie, Amiens
du 18 au 20 octobreThéâtre Comédie Odéon, Lyon
du 22 au 25 février 2023Théâtre national de Nice
du 5 au 8 avril
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