Christine Citti et Jean-Louis Martinelli cosignent au TGP leur nouvelle pièce Dans la fumée des joints de ma mère, évocation dystopique de la vieillesse d’une délirante vacuité.
On avait été cueillis par l’authentique sincérité de ce tandem d’artistes lorsqu’il présentait à la MC93 le beau spectacle Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner. Après un an de résidence passé sur le territoire de la Seine-Saint-Denis à la rencontre de jeunes gens en difficulté sociale, la comédienne en charge de l’écriture et présente au plateau voulait donner à voir la vie remuante d’un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs, et ce avec une profonde empathie. Une jeunesse nerveuse, bouillonnante, bien que laissée pour compte, se montrait aussi touchante qu’insolente dans cette proposition théâtrale. Dans la fumée des joints de ma mère se positionne à l’extrême opposé de l’échelle de la vie puisqu’elle traite de sa fin, et hélas pas avec la même pertinence. Hasard ou pas, une quantité impressionnante de spectacles s’empare actuellement des thèmes de la vieillesse et de la finitude. Rien qu’au TGP se sont succédés Un Sacre de Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix partis à la rencontre de gens divers confrontés au deuil, et King Lear Syndrome de Elsa Granat dans lequel le plus célèbre roi Shakespearien se voit placé par ses filles en Epahd. Christine Citti et Jean-Louis Martinelli font quant à eux voyager dans un monde futuriste apocalyptique, où l’hôpital pour tous, la sécurité sociale et les services publics n’existent plus. Les hommes et les femmes vieillissants y reçoivent un jeton qui leur annonce dans un délai de vingt-quatre heures leur mort prochaine et irrémédiable.
Sans morosité, sans pathos, la pièce dresse le portrait d’un groupe de seniors singuliers : Geneviève, une sorte de Lolita sur le retour qui détonne avec ses mèches rose fuchsia, son gilet de jogging et sa manie de fumer des pétards. Quittée par son mari, abandonnée par sa fille, elle pimente sa vie sentimentale avec Pedro, un amant apparemment lui aussi fuyant, et partage le plus long de son temps avec Albert, son épicurien de frère, fan excentrique du chanteur Christophe, qu’accompagne un poisson rouge nommé Archibald dont l’aquarium regorge de cannettes de bière flottantes. Autour d’eux, se présentent Malika et Estelle, pas plus épargnées par la vie tant les existences sont traversées de violence et de malheur. Tous organisent leur fin de vie sous le signe de la fête et de la défonce à l’occasion d’une dernière nuit prenant la forme d’un pique-nique sous substances fournies par un jeune pharmacien, dealer à ses heures, assommé et kidnappé.
On décèle une bonne part d’humour et de tendresse à camper ces figures moyennes mais animées d’une franche vitalité. Pourtant, tout semble lourdingue et assez souvent salace dans cette partition au service de laquelle de bons comédiens cèdent vite à un surjeu presque boulevardier et se noient dans la banalité. A l’image des personnages en roue libre totale, la pièce part dans tous les sens. Elle brasse des sujets de société, sans doute trop univoquement, superficiellement. Alors que défilent bon nombre d’énormités, elle fait néanmoins entendre un salutaire besoin de révolte – son discours social qui repose sur la critique d’un gouvernement ayant réduit les retraites à une maigre aumône rend compte de la précarité des aînés – et chante une petite ode à la liberté en interrogeant de façon sous-jacente la capacité d’une communauté humaine à obéir à des lois opaques et à se soulever contre.
Le propos comme sa transcription sur scène passe pour bien trop anecdotique. Jean-Louis Martinelli qui a beaucoup travaillé sur les marges, les démunis, en montant notamment plusieurs pièces de Lars Noren, des textes de Koltès ou de Fassbinder, veut promouvoir ce nouveau texte comme un neo-théâtre de l’absurde dans la tradition d’un Beckett ou d’un Ionesco qui ont à leur manière tourné en dérision le tragique de la condition humaine, mais il n’est pas du même niveau de profondeur. La vieillesse est un naufrage dit le dicton, et on n’en est pas loin.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Dans la fumée des joints de ma mère
pièce pour 6 interprètes, et un poisson rouge
texte Christine Citti
mise en scène Jean-Louis Martinelli
avec
Darina Al Djoundi Malika
Christine Citti Geneviève
Elisa Kane Olympe
Alain Fromager Albert
Arthur Oudot le dealer
Laurence Roy Estelle
collaboration artistique Thierry Thieû Niang
scénographie et vidéo Fabien Chalon
costumes Elisabeth Tavernier
lumières Jean-Marc Skatchko
musique Sylvain Jacques
production : Cie Allers-Retours
coproduction en cours : MC93, Théâtre Liberté – Scène nationale de Toulon, Théâtre
Olympia – CDN de Tours
Administration : AlterMachine • Elisabeth Le Coënt et Marine MussillonDurée : 1h50
TGP Saint-Denis
Du 6 au 20 février 2022
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