Avec L’Amour médecin, Jean-Louis Martinelli met en scène au Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence une courte farce de Molière qui se rit des gens de médecine dans la plus pure tradition du théâtre français. Le spectacle, simple et plaisant, enrichi des costumes de Christian Lacroix et portée par une distribution convaincante n’empêche pas de s’interroger sur l’intérêt de monter un tel classique.
On sait le peu d’estime en laquelle Molière tenait les médecins. Il les a moqués dans Le médecin malgré lui ou Le malade imaginaire mais aussi à travers de nombreux épisodes satiriques saupoudrés dans ses pièces. On connaît un peu moins cet Amour médecin, farce écrite et montée en moins d’une semaine selon son auteur, qui place également en son cœur la critique des disciples d’Hippocrate. Voyant dans cette forme courte un levier pour conquérir de nouveaux publics, Jean-Louis Martinelli a décidé de la mettre en scène en mode théâtre de tréteaux – peu d’éléments scénographiques – et avec des costumes originaux signés Christian Lacroix.
C’est Edouard Mountoute, qu’on voit plus au cinéma et sur le petit écran qu’au plateau, qui endosse avec un certain brio le premier rôle, celui d’un Sganarelle non plus valet mais devenu veuf bourgeois et père possessif et avare qui interdit à sa fille le bonheur d’un mariage d’amour. Lucinde, interprétée par la facétieuse Elisa Kane, en conçoit une mélancolie qu’elle maquille, avec la complicité de sa suivante Lisette, en une pathologie délirante qui conduit son père à appeler des médecins pour la soigner. Mais peut-on guérir à coups de saignées et de lavements une peine d’amour ? Certainement pas. Seul l’amour peut remettre sur pied ceux qu’il a séchés. L’amant madré, déguisé en médecin, viendra donc vendre tout son savoir faire d’illusionniste au paternel un peu bêta pour que la comédie s’achève en un mariage heureux.
C’est, on le voit, sur un canevas extrêmement classique, voire canonique, que se construit cette comédie médicale. Le propos satirique, qui se développe notamment au second acte ne l’est pas moins. Répétition des mêmes remèdes pour toutes les maladies depuis l’Antiquité, infatuation des « savants » qui constituent du haut de leur sabir folklorique une science inaccessible et impressionnante à coups de termes ronflants et de latinismes étincelants et autre cupidité vite démasquée de ces apprentis sorciers qui vous tuent un homme solide en un rien de temps, plus sûrement que la plus létale des maladies, alimentent notamment la traditionnelle caricature des supposés guérisseurs. En ces temps post-covid, certains des reproches énoncés par Molière prennent aussi une résonance nouvelle – comment les incessantes disputes à l’intérieur de la profession décrédibilisent le savoir scientifique par exemple – que relaie par ailleurs le port de ces masques hygiéniques qui occupent désormais dans notre imaginaire une place bien particulière. Les costumes dessinés par Lacroix font ressembler les quatre charlatans autant aux 7 nains du dessin animé qu’à des membres du Ku Kux Klan : les habillent de longues tuniques bleu ou saumon, dans lesquelles ils se trémoussent sur de la musique électro à leur première apparition. Épisode central, un peu long, de cette pièce, leur consultation ne débouchera évidemment sur aucune solution susceptible de rendre la santé à Lucinde, et prépare donc l’arrivée de l’amant, déguisé comme eux, dont la seule vue remettra évidemment la jeune fille sur pieds.
On ne niera pas que cet Amour médecin est plaisant. Spectacle court – un peu plus d’une heure, il laisse le temps d’apprécier l’ingéniosité et les surprenants détails des costumes des personnages – la cage de robe de Lucinde où se loge un livre, le jupon matelassé de Lisette, jusqu’à la couture apparente de Sganarelle. On a également l’impression de découvrir, comme des archéologues du théâtre, mises à nu, les fondations archétypales d’un certain art dramatique de Molière. On y trouve aussi de quoi s’amuser avec un registre farcesque dans lequel Edouard Mountoute porte la mimique comique avec la jubilation intérieure et contaminante de l’acteur qui sait ne pas verser dans la cabotinerie, ouvrant la voie aux facéties en mode Exorciste de Lucinde ou au final façon Blues Brothers des médecins sur le tarantinesque C’est la vie de Chuck Berry. Quelques touches de modernité et d’atemporalité, donc, colorent la mise en scène de ce classique en format abrégé. En ressort l’impression d’assister à une délicate fantaisie, habilement menée, un peu trop sage parfois, et qui laisse se demander si l’on tient là le meilleur moyen de renouveler le vieillissant public du théâtre, ou même, parce qu’il s’agirait d’une forme courte , d’y attirer celui qu’on peine depuis longtemps à faire entrer. Telle n’est pas la mission obligée des artistes mais celle que se fixe l’ancien directeur des Amandiers. Pas sûr que les éternelles facéties des médecins de Molière relèvent assez le plat pour donner envie d’y goûter.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
L’amour médecin de Molière
Mise en scène Jean-Louis Martinelli
Création lumière Jean-Marc Skatchko
Costumes Christian Lacroix
Création sonore Sylvain Jacques
Chorégraphe Thierry Thieu NiangAvec
Edouard Montoute,
Elisa Kané,
Martine Schambacher,
Michel Melki,
Bernard Nissile,
Hammou Graia,
Alexandre Soulié,
Yoann Denaive
Arthur OudotProduction Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
Coproduction Compagnie Allers/Retours, Théâtre Liberté, Toulon, Théâtre de LiègeDurée 1h05
Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
du 12 au 21 janvier 2023
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