Sous la direction de Jean Bellorini au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, l’excellente troupe du Théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg donne des couleurs pop et flashy au Kroum d’Hanokh Levin monté comme une fantaisie musicale.
C’est l’une des comédies les plus célèbres de l’auteur israélien qui recèle aussi une belle et profonde humanité. C’est une peinture du ratage portée par des personnages aux velléités contraires. Aspirés par l’envie comme par l’ennui, ils demeurent constamment entre volonté de changement et immobilisme résolu. Un jeune homme, Kroum, l’édifiant antihéros qui donne son titre à la pièce, revient chez sa mère après une longue absence. Il n’a rien fait, rien gagné, rien concrétisé, mais n’apparaît pas pour autant miné par l’échec qu’il partage avec les siens, tous aussi bons médiocres, enlisés dans leur néant existentiel mais non dépourvu de bonheur. Car la vie prend toujours le dessus. Pour conjurer le triste sort, lui et ses amis parlent, chantent, vivent au gré des unions et des désunions, ils célèbrent des mariages sur le pouce, affrontent la maladie puis la mort trop prématurément venues s’abattre sur la communauté. Leur monde est autant emprunt de légèreté que de gravité. C’est sur ce mince fil d’équilibriste que doit tenir une bonne mise en scène de l’œuvre.
Rien n’est complètement désolé dans la cartographie du malheur que fait le dramaturge, usant même d’un humour noir ou proche de l’absurde. Et il en est parfaitement de même dans la mise en scène de Jean Bellorini qui, en bon portraitiste, croque une galerie de personnages plein de reliefs et d’éclats. Sans aller complètement dans la profondeur intime et même dérangeante du texte, tel que l’avait remarquablement fait Krzysztof Warlikowski en 2005, Bellorini insuffle à sa représentation un ton fantasque et entraînant. Certaines excentricités apparaissent franchement boulevardières, une fine mélancolie pointe par moment. Tout transpire d’émotions contrastées.
L’artiste signe aussi le décor de son spectacle et superpose des boîtes comme autant de petites lucarnes rectilignes qui dominent une cour rassembleuse. Des habitants de tous âges vivotent à l’intérieur comme dans des sortes de clapiers qui rappellent l’exiguïté des appartements communautaires de l’Europe de l’Est. Pas sinistres, ceux-ci sont irisés de couleurs chatoyantes qui enrobent, enjolivent, la vie quotidienne et populaire qui se laisse découvrir par les fenêtres.
Après avoir monté Le Suicidé de Nicolas Erdman au Berliner Ensemble, Jean Bellorini confirme ses talents à diriger les grandes troupes internationales. Il s’y attelle même avec plus de brio que lorsqu’il met en scène ses comédiens français rendus bien à la peine dans les récents Frères Karamazov avignonnais. Les acteurs russes se montrent épatants et généreux dans cette plaisante et émouvante tragi-comédie.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Kroum
Hanokh Levin
MISE EN SCÈNE
Jean Bellorini
Avec la troupe du Théâtre Alexandrinski (Saint-Pétersbourg) Vasilissa Alexéeva, Sergey Amossov, Dmitri Belov, Ivan Efremov, Iossif Kochelevitch, Maria Kouznetsova, Vitali Kovalenko, Vladimir Lissetski, Dmitri Lyssenkov, Yulia Martchenko, Marina Roslova, Olessia Sokolova et le musicien Michalis BoliakisCollaboration artistique Mathieu Coblentz | assistante au metteur en scène Macha Zonina (interprète) | Scénographie Mikhaïl Koukouchkine, Jean Bellorini | Costumes Olga Ouskova, Macha Makeïeff | Traduction russe Marc Sorsky | Traduction française Laurence Sendrowicz
Création à Saint-Pétersbourg vendredi 8 et samedi 9 décembre 2017 au Théâtre national académique Pouchkine dit Théâtre Alexandrinski. Entrée au répertoire.
Coproduction : ADN – L’art des nations, direction Patrick Sommier
Théâtre Alexandrinski, direction artistique Valéry Fokine. Nouvelle scène-direction Igor Troïline
Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis
La Criée – Théâtre national de Marseille
Durée estimée : 1h50TGP – Saint-Denis
18 Janvier 2018 – 28 Janvier 2018
du lundi au samedi à 20h – dimanche à 15h30
Relâche le mardi
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