Au Festival d’Avignon, la metteuse en scène tente de percer les mystères de l’univers aussi fantasque qu’excentrique du romancier britannique. Un cabinet de curiosités trop décousu pour être limpide, et trop sage pour être jouissif.
Qui a lu ou vu Alice aux pays des merveilles, et son pendant De l’autre côté du miroir, sait à quel point l’imaginaire de Lewis Carroll peut être fécond. Son goût pour les personnages délirants – le chat du Cheshire, les frères Tweedeldee et Tweedeldum, le Lièvre de mars, Humpty Dumpty –, son rapport contrarié au temps – raccourci pour le Lapin blanc toujours pressé, distendu pour le Chapelier fou à jamais cantonné à l’heure du thé – et sa déconstruction-reconstruction de la langue anglaise – génératrice de mots-valise dont son fameux poème Jabberwocky est garni – font du romancier britannique un artiste très à part, une énigme dont Macha Makeïeff a tenté de percer les secrets.
Pour ce faire, la metteuse en scène a voulu plonger de l’autre côté du miroir, mettre en regard le romancier, Lewis, et son oeuvre, Alice ; l’homme, Dodgson, et son pendant créateur, Carroll. Elle est allée fouiller dans le passé insoupçonné et insoupçonnable de l’auteur, en rupture de ban avec la société victorienne, que la vie, et plus particulièrement l’enfance, n’ont pas épargné. Troisième rejeton d’un fratrie de onze, il est à moitié sourd, gaucher comme tous ses frères et soeurs, et bègue à l’instar de six d’entre eux. Fils d’un prêtre anglican marié à l’une de ses cousines germaines, ses premières années sont marquées par le poids de la religion, omniprésente dans le presbytère du Yorkshire où il habite, et la déception d’un père, contrarié de voir sa progéniture devenir simple diacre en même temps que brillant mathématicien.
A partir du lourd pedigree de l’homme, dont elle cherche à démontrer l’influence sur l’oeuvre de l’artiste, Macha Makeïeff a construit une « énigme », scindée en quatre « crises » – Lewis versus Charles, Un bonheur l’enfance ?, Oxford a mille ans, Lewis versus Alice. Nourri d’éléments biographiques, son projet composite est également riche de fragments littéraires piochés au-delà d’Alice aux pays des merveilles. Si l’oeuvre-phare constitue un habile fil rouge, elle est augmentée d’extraits de Sylvie et Bruno, La Chasse au Snark, De l’autre côté du miroir, mais aussi de son journal et autres magazines. Le tout se reflète dans un cabinet de curiosités où chaque objet a le poids d’un symbole, du héron empaillé au lapin blanc en peluche, des comédiens aux têtes d’animaux à la maison sans toit à l’allure presbytérienne, des bancs d’église aux cierges et indispensables miroirs, tâchés par le temps.
Dans cet écrin aussi onirique que savamment pensé, et habilement éclairé par les lumières de Jean Bellorini, Macha Makeïeff s’adonne à un théâtre musical, maladroitement bilingue, qui reste au milieu du gué. Gentiment fantasque, il s’avère trop décousu pour être limpide, et trop sage pour être jouissif. Insuffisamment porté par la musique trop rare, bien que joliment composée, de Clément Griffault, il peine à tisser des liens et à dépasser le nonsense carrollien pour faire éclore une pensée originale. Se déroule alors une litanie de scènes, un rien longuette, qui se borne à humaniser l’univers du romancier. Emmenés par un Geoffrey Carey tel qu’en lui-même et un Geoffroy Rondeau complaisamment farfelu, les comédiens font ce qu’ils peuvent pour donner couleurs et vie à cet univers où la folie suinte par tous les pores. Las, Lewis Carroll – dont Macha Makeïeff a soigneusement évité les facettes polémiques – y passe pour un gentil dingo à l’inspiration enfantine. Plus insondable et frustrant que jamais, son mystère reste entier.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Lewis versus Alice
d’après Lewis Carroll
Adaptation Macha Makeïeff, Gaëlle Hermant
Mise en scène, costumes et décor Macha Makeïeff
Avec Geoffrey Carey, Caroline Espargilière, Vanessa Fonte, Clément Griffault, Jan Peters, Geoffroy Rondeau, Rosemary Standley et à l’image Michka Wallon
Lumière Jean Bellorini
Musique Clément Griffault
Son Sébastien Trouvé
Création coiffure et maquillage Cécile Kretschmar
Magie Raphaël Navarro
Chorégraphie Guillaume Siard
Images Clément Vial
Vidéo Elio Della Noce
Assistanat à la mise en scène Gaëlle Hermant
Assistanat scénographie Clémence Bezat
Assistanat costumes Claudine Crauland
Assistanat magie Arthur Chavaudret, Antoine Terrieux
Conseillère à la langue anglaise Camilla BarnesProduction La Criée Théâtre national de Marseille
Coproduction Festival d’Avignon, Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint-Denis, Maison de la Culture d’Amiens – Pôle européen de création et de production
Avec l’aide des Ateliers du Théâtre national populaire Villeurbanne pour la construction du décor, Pavillon Bosio Ecole supérieure d’arts plastiques de la ville de Monaco, Haute école des arts du Rhin, Université Caen Normandie, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, LESA Aix-Marseille Université, Ecole Axe Sud
Remerciements à toute l’équipe de La CriéeDurée : 1h50
Festival d’Avignon 2019
La FabricA
14 15 16 17 | 19 20 21 22 juillet à 18hThéâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis
du 27 septembre au 13 octobreLe Quai, Centre dramatique national Angers Pays de la Loire
du 17 au 19 octobreLe Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon
les 13 et 14 novembreLa Liberté Scène nationale, Toulon
les 21 et 22 novembreLa Criée, Théâtre national de Marseille
du 27 novembre au 7 décembreScène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne
du 11 au 13 décembreThéâtre national du Nice
du 19 au 21 décembreCélestins, Théâtre de Lyon
du 7 au 11 janvier 2020
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