Au Théâtre de la Colline, l’autrice et metteuse en scène contourne soigneusement son sujet et tend à ridiculiser ses personnages en plein questionnement identitaire au lieu de chercher à les comprendre.
Pour frapper les trois coups de la rentrée théâtrale, le Théâtre de la Colline offre un joli jeu de miroirs aux spectateurs qui auraient l’idée, et l’envie, de fréquenter ses deux salles. Tandis que, à l’étage, dans l’écrin du Petit théâtre, Laurent Mauvignier s’essaie pour la première fois, et avec difficultés, à la mise en scène de l’un de ses textes, Proches, Yasmina Reza enfile elle aussi la double-casquette d’auteur-metteur en scène – comme elle l’avait déjà fait en 2021 avec Anne-Marie la Beauté – pour porter au plateau sa nouvelle pièce, James Brown mettait des bigoudis. Et il est singulier de remarquer que, dans un cas comme dans l’autre, les deux artistes échouent à créer un objet théâtral convaincant, capable de révéler ou de donner de la force à leurs écrits. Si, à y regarder de plus près, les mêmes effets ne sont pas exactement produits par les mêmes causes, ces ratés ont malgré tout deux écueils identiques en commun : un manque cruel de regard extérieur et une foi démesurée – logique pour une autrice et un auteur – dans la toute-puissance de textes qui se suffiraient à eux-mêmes.
À l’inverse de Laurent Mauvignier qui, pour donner naissance à Proches, est parti de zéro, Yasmina Reza a choisi de faire pousser une ramification temporelle sur l’un de ses précédents ouvrages, Heureux les heureux, de prolonger l’histoire des Hutner, cette famille où le fils, Jacob, à force d’en être fan, s’est peu à peu transformé en Céline Dion, sous le regard incrédule de ses parents, Pascaline et Lionel. Dans James Brown mettait des bigoudis, Jacob réside désormais dans une prétendue « maison de repos » qui a, quoi qu’en dise l’autrice, l’allure d’un hôpital psychiatrique. C’est là que son père et sa mère, qu’il n’arrive plus à nommer comme tels, lui rendent très régulièrement visite, mus par l’espoir sourd, mais jamais clairement exprimé, de retrouver leur « Pitounet ». Sous la protection d’une psychiatre avec la compréhension pour unique boussole, Céline s’est, pour la première fois de sa vie, fait un ami en la personne de Philippe, un homme blanc qui, de son côté, s’identifie comme noir.
À partir de ce substrat qui de façon grossière, caricaturale et, supposons-le, maladroite, aborde de manière oblique le thème de la transidentité, Yasmina Reza paraît avancer à pas très feutrés, jusqu’à entretenir un flou calculé pour contourner soigneusement son sujet. Dans ce texte, il n’est curieusement jamais question d’un quelconque parcours de transition, ni de recherche d’une profonde compréhension. Exception faite des parents qui tentent mollement, et tant bien que mal, de se faire à la situation, tout en espérant secrètement retrouver leur fils au lieu d’accepter pleinement ce qu’il est devenu, chaque personnage reste dans sa bulle, isolé, droit dans ses bottes, incapable de faire de réels pas vers l’autre. Avec l’allure discutable de gentils fous, les deux êtres en transition sont résumés à des caractéristiques et à des actions anecdotiques, lorsqu’elles ne sont pas délirantes. Alors que Philippe s’échine à vouloir planter en pleine terre un « sycorus », une espèce d’arbre inventée de toutes pièces qui prendrait racine dans le bayou, Céline écrit et compose des chansons forcément bas de gamme, et s’entraîne au hula-hoop, en vue de son « Road to South », soit une série de 40 concerts en Amérique latine.
Prétendument comiques, mais en réalité moqueurs, ces portraits à gros traits rapetissent les individus. Insuffisamment déployés, ils semblent plus ridicules que touchants, comme si Yasmina Reza ne cherchait à aucun moment à les comprendre et à susciter de l’empathie à leur endroit. À ce titre, le personnage de la psychiatre est, sans doute, le plus révélateur. Vectrice d’harmonie, elle est aussi dépeinte comme une originale à la lisière de la folie, autrice d’une conférence jugée incompréhensible et amatrice de trottinette électrique. En tant qu’êtres pleinement dans la norme, les parents apparaissent alors comme les seuls individus doués de raison, donnant à la pièce une tonalité problématique, peut-être, et espérons-le, au corps défendant de son autrice.
D’autant que la mise en scène, en forme de simple habillage, dessert bien plus qu’elle ne sert ce texte, à qui Yasmina Reza paraît faire une confiance un peu trop aveugle. Frappée de gigantisme, la scénographie d’Éric Soyer contribue à écraser les comédiens, et les personnages avec eux. Malgré ce décor très imposant, le grand plateau du Théâtre de la Colline semble paradoxalement bien vide et prend la forme d’un espace scénique où tout flotte et où les individus ont toutes les peines du monde à véritablement se rencontrer. Surtout, la dramaturgie particulièrement saccadée, fondée sur des scènes trop courtes pour gagner en profondeur, impose un faux rythme, tout comme les transitions qui, à force d’employer les mêmes subterfuges techniques et musicaux, donnent naissance à une lassante rengaine. Reste alors les comédiennes et les comédiens qui, dans la direction qui leur est imposée, réussissent à donner relief et caractère aux individus croqués par Yasmina Reza, de Christèle Tual, excellente en psychiatre en dehors des sentiers battus, à André Marcon, touchant en père désarçonné. Las, au sortir, on ne peut s’empêcher d’avoir un goût tristement amer dans la bouche, celui d’avoir vu pris à la légère un sujet qui, dans le monde réel, peut être à l’origine de profondes et délicates souffrances.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
James Brown mettait des bigoudis
Texte et mise en scène Yasmina Reza
Avec Micha Lescot, André Marcon, Alexandre Steiger, Josiane Stoléru, Christèle Tual et le musicien Joachim Latarjet
Assistanat à la mise en scène Oriane Fischer
Musique Joachim Latarjet en collaboration avec Tom Menigault
Scénographie et lumières Éric Soyer, assisté de Marie Hervé
Création vidéo Renaud Rubiano
Costumes Marie La Rocca
Maquillages et coiffures Cécile Kretschmar
Couture Eléa Lemoine
Coaching vocal Virginie Côte
Construction du décor Atelier de La Colline – théâtre nationalProduction La Colline – théâtre national
Coproduction TS3, Théâtre Marigny – groupe Fimalac Entertainment
Avec le généreux soutien d’Aline Foriel-DestezetLe texte de la pièce a paru aux éditions Flammarion.
Durée : 1h45
La Colline, Paris
du 19 septembre au 15 octobre 2023Théâtre Marigny, Paris
du 27 mars au 5 mai 2024
Je n’ai pas vu la pièce mais visiblement il ne s’agit pas d’un personnage en transition de genre mais de quelqu’un qui pense être Céline Dion. Ça n’est pas du tout ma même chose, non ?