Plusieurs années après avoir monté La Voix humaine de Cocteau, Ivo van Hove a mis en scène The other voice : réponse de l’homme à qui s’adresse la femme quittée et désolée au téléphone. Elle est écrite et interprétée avec autant d’irritation que d’émotion par Ramsey Nasr, acteur phare de l’Internationaal theater d’Amsterdam. Ce mois-ci, le théâtre de la ville présente les deux propositions à l’Espace Pierre Cardin.
Aussi bien adepte de grands formats shakespeariens que d’œuvres plus intimistes, Ivo van Hove a offert plusieurs solos poignants à sa troupe d’acteurs. Dans La Voix humaine, Halina Reijn parcourt depuis 2009 le monde entier, et bouleverse de New York à Hong Kong en passant par St-Petersburg, Toronto, Dublin, Sydney, Barcelone, et enfin Paris où, la semaine dernière, elle portait avec une puissance émotionnelle et une quasi animalité bluffantes les mots de la locutrice imaginée par Cocteau.Ce monologue émouvant laisse entendre un propos forcément inégal, un dialogue lacunaire et tronqué dans la mesure où il ne donne accès qu’à la voix féminine, et laisse volontairement inaudibles les réponses apportées par son destinataire.
Qui est l’homme au bout du fil ? Que lui dit-il ? Ramsey Nasr tente d’une manière tout à fait inédite de répondre à ces questions. Il a choisi de placer l’intérêt du spectateur non plus du côté des atermoiements de la femme affligée mais du côté de l’homme exténué à dire sa vérité. Celui-ci se présente comme un être moderne et ouvert, travaille dans l’humanitaire, aide les réfugiés, vient d’emménager dans un somptueux duplex épuré, où les cartons n’ont pas encore été vidés et où l’on mange à même le sol des plats livrés. Il tente visiblement de refaire sa vie au côté de l’attirante Charlotte, actrice de séries télévisées, une sorte de parenthèse réparatrice après cinq ans de liaison tumultueuse et toxique. Câline, complice et délaissée, elle tente de combler le désir masculin et le manque éprouvé.
Ramsey Nasr est un acteur fin et puissant qui toujours épouse la complexité torturée de rôles hors du commun. C’est le cas du brillant et hautain architecte Howard Roark dans The Fountainhead, le roman de Ayn Rand ou plus récemment de Jude, jeune homme abusé et traumatisé, dans Une vie comme les autres, le best-seller mondial de Hanya Yanagihara que vient d’adapter Ivo van Hove. On ne connaissait pas sa veine d’écrivain. A la fois romancier et poète, il a lui-même écrit le texte de la pièce, dans un langage très quotidien et dans une facture attentive à la pièce d’origine, si bien que les deux ouvrages pourraient finalement s’assembler et former un véritable dialogue.
Le résultat n’est pas toujours convaincant et même parfois faible mais il permet néanmoins un rééquilibrage salutaire et un éclairage nouveau sur la situation à la fois banale et éprouvante qui se joue entre les deux protagonistes. S’ils s’opposent en tout point, ils se présentent malgré eux comme deux êtres plus semblables qu’ils ne veulent l’admettre. Négligemment vêtu en pantalon de jogging comme elle, simplement habillée d’un survêtement et d’un pull imprimé « Mickey » et « Minnie », vissé à son ordinateur portable, il ne tient pas en place, il rit, pleure, hurle avec véhémence, se jette contre les murs, tandis qu’elle tente de le retenir, le menace, le supplie, de l’autre côté du téléphone. Il est aussi troublé et dévasté qu’elle. En dépit de tout ce qu’il montre d’agacement, d’indifférence feinte, il ne peut s’empêcher de répondre aux sempiternelles sollicitations de son interlocutrice, et parfois même avec compréhension et compassion.
Au cœur des déchirures inhérentes à la rupture amoureuse, se présentent finalement deux êtres indéfectiblement liés. La pièce pointe l’absolue nécessité comme l’extrême difficulté de se séparer, de mettre un terme à une liaison aussi déterminante que dévastatrice. Sans réussir à complètement réhabiliter l’homme, elle permet d’en faire un portrait moins unilatéral.
La manière dont Ivo van Hove met en scène ces deux monologues qui s’éclairent et se répondent est à la fois d’une grande délicatesse et d’une sourde brutalité. Le Maître de la scène néerlandaise est dans son élément quant il s’agit de la violence de la passion qu’il restitue grâce à une direction d’acteurs précise et sensible.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
The other voice
TEXTE Ramsey Nasr MISE EN SCÈNE Ivo Van HoveDRAMATURGIE Bart Van Den Eynde SCÉNOGRAPHIE & LUMIÈRES Jan Versweyveld SON Timo Merkies TRADUCTION DES TEXTES EN ARABE Tayseer Nasr COSTUMES Wim Van Vliet ASSISTANT SCÉNOGRAPHIE Bart Van Merode CASTING Hans Kemna AVEC Ramsey Nasr & Djamila Landbrug
Durée 1h20
Espace Cardin
Du 13 au 16 nov. 2018
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