Aurélien Bory présente, au Théâtre des Abbesses à Paris, sa création Palermitaine, Invisibili, dans laquelle les danseurs tentent de faire corps avec une grande fresque macabre du XVe siècle représentant le triomphe de la mort. Beau mais sans assez d’élan et de développement.
Invité par le Teatro Biondo de Palerme en résidence artistique, Aurélien Bory découvre, lors d’une visite du Palazzo Abatellis, la vaste fresque murale d’un artiste anonyme et en sort bouleversé. Intitulée Le Triomphe de la mort, l’œuvre peinte vers 1446, en pleine période de peste noire, dans un style gothique tardif, est devenue au fil des âges le symbole de la ville de Palerme. Le metteur en scène qui fait de l’invention d’espaces l’essence même de son travail dont les dimensions visuelles et sensibles ne se démentissent pas de pièce en pièce, a choisi de faire de cette œuvre le décor même de sa création. Il la reproduit sur une immense toile mobile qui dans un mouvement ascensionnel se hisse vers les hauteurs du plateau et prend toute la place. Elle se présente d’abord comme une belle toile de fond puis, dans son mouvement récurent, intègre les danseurs jusqu’à l’engloutissement. Au centre de la peinture : un squelette opiniâtre et conquérant chevauche un animal également rachitique pour décocher ses flèches fatales. Cette mort personnifiée foule la campagne et sa population attroupées. Évêques, troubadours, chevaliers, jeunes femmes nobles et galantes ou paysannes, sont condamnés sans distinction à perdre la vie sous son galop ardent et hâté qu’imitent les vibrations du saxophone échaudé du musicien Gianni Gebbia.
Aurélien Bory demande à ses interprètes de rejouer ou de réinventer, à leurs façons, les figures, leurs postures, les motifs, les détails, à la fois grotesques et funestes, que l’on trouve sur la peinture, et ce à l’occasion de mouvements souvent lents et sculpturaux ou parfois plus convulsés. Tandis que Le Triomphe de la mort repose sur l’élan de sa cavalière macabre, et que le rideau se balance au gré d’un vent grondeur et tempétueux sur le plateau, c’est étonnamment le calme plat.
La proposition va plus loin lorsque Bory décide de mettre en parallèle à l’imagerie picturale moyenâgeuse les destins d’individus contemporains confrontés à un drame existentiel et devant lutter contre l’adversité. Invisibili narre alors la maladie d’une femme atteinte d’un cancer du sein qu’on découvre sous la silhouette éminemment Bauschienne de Valeria Zampardi semblant sortie de Café Müller, palpée sur une chaise par une batterie de médecins en blouse ; narre aussi le périple migratoire d’un jeune homme nigérian qui trouve en Sicile une terre d’accueil où il parvient à s’installer. Chris Obehi figure avec une belle prestance un naufragé cahotant mais résistant dans le flot d’une mer factice (un morceau de tissu agité), portant la barque gonflable qui lui sert de radeau sur le dos comme un Christ sa croix.
Ainsi s’amalgament le supplice doloriste représenté sur la toile aux maux contemporains de deux présences bien réelles, palpables, auxquelles s’ajoutent un trio de Parques dont les mouvements de bras tricotent un manège inextricable. Même évoqués de manière fort évasive et assez maladroitement représentés, et ce à cause d’un épais recours à la littéralité que Bory avait jusqu’ici toujours réussi à écarter, ces parcours ne peuvent que toucher tant ils veulent illustrer la force et la faiblesse humaines face au chaos et à la finitude. Le spectacle gagne parfois un peu en force poétique et organique mais son propos paraît trop figé, enfermé dans des images presque convenues ; il manque de développement, d’approfondissement, pour vraiment captiver.
Christophe Candoni – sceneweb.fr
Invisibili
Interprètes
Blanca Lo Verde,
Maria Stella Pitarresi,
Arabella Scalisi,
Valeria Zampardi,
Chris Obehi,
et Gianni Gebbia, musicienConception, scénographie et mise en scène Aurélien Bory
Collaboration artistique, Costumes Manuela Agnesini
Collaboration technique et artistique Stéphane Chipeaux-Dardé
Musique Gianni Gebbia, Joan Cambon
Création Lumière Arno Veyrat
Décors Pierre Dequivre, Stéphane Chipeaux-Dardé, Thomas DupeyronRégie générale Thomas Dupeyron
Régie son Stéphane Ley
Régie plateau Mickaël Godbille, Thomas Dupeyron
Régie lumière Arno Veyrat ou François DareysPRODUCTION Compagnie 111 – Aurélien Bory / Teatro Biondo Stabile
COPRODUCTION (en cours) Théâtre de la Ville-Paris, Théâtre de la Cité – Centre dramatique national Toulouse Occitanie, La Coursive scène nationale de La Rochelle, Agora Pôle national des Arts du cirque de Boulazac, Le Parvis scène nationale Tarbes Pyrénées, Théâtres de la Ville de Luxembourg, La Maison de la Danse – Lyon, Fondazione Teatro Piemonte Europa – Teatro Astra, Turin
Accueil en répétitions et résidences Théâtre de la Digue – Toulouse, Teatro Biondo Stabile – Palerme (IT)
Subventions Convention Institut Français – Mairie de Toulouse 2023Durée 1h10
Les Abbesses – Théâtre de la Ville
du 5 au 20 janvier 2024
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