Tumultueuse et roborative, Infini de Boris Charmatz interroge avec urgence et vertige notre rapport au temps et à sa grandeur. Créée à Montpellier Danse, la pièce est programmée au Festival d’Automne.
En intitulant sa pièce Infini, Boris Charmatz l’installe d’emblée sous le signe de l’absence de limite et veut permettre tous les possibles. Cela semble une évidence tant, le geste proliférant du chorégraphe, l’un des plus captivants actuellement, fait de la scène un vrai champ d’exploration, un terrain audacieux où priment le risque, de défi, le dépassement et le débordement.
Paradoxalement, Infini prend place sur un sol assez exigu qu’encerclent à demi les spectateurs. Ecrit pour six danseurs seulement dont le chorégraphe lui-même, c’est un format plus réduit, plus raisonnable que des précédentes créations comme 10 000 gestes mais il fait toujours la part belle à une danse très physique et hétérogène.
Le fantasme d’infini des individus réunis au plateau s’incarne dans l’utilisation de nombres rigoureusement énoncés, proférés, hurlés. La danse et l’algèbre n’ont a priori pas l’air d’aller ensemble et pourtant le comptage est un outil de première importance pour les danseurs qui comptent la mesure. Anne Teresa de Keersmaeker entre autres artistes adoptent bien une écriture chorégraphique basée sur des éléments mathématiques. Charmatz, qui avoue détester compter en dansant, va davantage privilégier l’éclatement et l’anarchie.
Multipliant les directions et les intentions, tous comptent. Sur un rythme variable et une intensité graduelle. Ils comptent et décomptent, sans fin, les jours, les ans, les moutons, les dates, de naissance, les événements historiques… Suivant cette matière apparemment bien peu émotionnelle, les interprètes traversent des états paroxystiques tout à fait saisissants. Leur partition est d’une redoutable difficulté. Les chiffres deviennent une pulsation, une scansion, frénétique et obsessionnelle. Il y a bien dans cette déclinaison quelque chose lié à l’acharnement, à l’exténuation, mais aussi à une folle excitation.
Pour Boris Charmatz, compter n’est pas simplement mesurer mais défier le temps, d’où le désordre qui prime sur scène où ça gueule et gesticule à loisir. Sollicités à l’extrême, les interprètes Régis Badel, Raphaëlle Delaunay, Maud Le Pladec, Fabrice Mazliah, Solène Watcher et le chorégraphe lui-même, tous véloces et violents, sont traversés par une énergie pulsionnelle, dévastatrice, phénoménale. Ils organisent un chaos savamment maîtrisé. Déchaînés, désaxés, ils se tordent, se courbent, s’élancent, s’écroulent, dans le flux et le reflux d’un mouvement en permanente ébullition. Comme un moment d’accalmie, une houle évolue lentement au sol en susurrant le prologue d’Einstein on the Beach de Philip Glass, composé des chiffres 1 à 8 inlassablement répétés. Le reste du temps, c’est plutôt sur un débit rapide et musclé que les danseurs mitraillent les nombres. Conquérant, ils revisitent l’entrée des sauvages des Indes galantes de Rameau. Régressifs, ils entonnent un chœur polyphonique sur des paroles rabelaisiennes. La Renaissance et l’humanisme semblent être des sources d’inspiration importantes pour ce spectacle. Pas limité dans le temps, Infini embrasse largement le passé comme l’avenir.
La danse même abstraite et insolite n’est jamais chez Charmatz déconnectée de la réalité du monde et de la condition humaine. En témoigne Danse de nuit qui investissait l’espace urbain et réactivait une actualité dramatique et brûlante. Allant jusqu’à provoquer le rire ou le malaise, le geste volontariste, hyperactif, se veut aussi inconfortable. Ici, il traduit la vitesse, le danger, la folle avidité de nos modes de vie contemporains, la cacophonie, le bouillonnement intrépide de nos sociétés saturées et policées, en état d’alerte ou d’urgence, auxquels renvoient des gyrophares disposés sur le plateau et dont les faisceaux lumineux électrisent les corps. Donnée en avant-première à Monpellier, Infini est bientôt attendu à Athènes puis en tournée française et européenne la saison prochaine avec comme point d’orgue le festival d’automne. Pour Charmatz, le compte est bon.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Infini
Boris Charmatz | TerrainChorégraphie : Boris Charmatz
Interprétation : Regis Badel, Boris Charmatz, Raphaëlle Delaunay, Maud le Pladec, Solène Wachter, Fabrice Mazliah
Assistante : Magali Caillet-Gajan
Lumières : Yves Godin
Son : Olivier Renouf
Costumes : Jean-Paul Lespagnard
Travail vocal : Dalila KhatirProduction : Terrain
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings
Coproduction : Festival Montpellier Danse 2019, Musée de la danse / CCNRB, Charleroi danse, Sadler’s Wells London, Théâtre de la Ville & Festival d’Automne à Paris, Athens & Epidaurus Festival, Théâtre Nanterre Amandiers, PACT Zollverein Essen, Théâtre National de Bretagne, Bonlieu Scène Nationale Annecy, Kampnagel-Hambourg
Terrain est subventionnée par le ministère de la Culture et par la Région Hauts-de-FrancePour cette création, Boris Charmatz a été accueilli en résidence à l’Agora, cité internationale de la danse avec le soutien de la Fondation BNP Paribas.
Durée : 1 heure
Montpellier Danse 2019
Jeu. 4 et Ven. 5 Juillet à 22h
Cour de l’AgoraFestival d’Automne
Théâtre de la Ville – Espace Cardin
10 au 14 Septembre
Nanterre-Amandiers, centre dramatique national
13 au 16 Novembre
Nanterre-Amandiers, centre dramatique national
16 Novembre
Espace 1789 / Saint-Ouen, Scène conventionnée danse
19 NovembreDu 5 au 6 décembre – Next Festival, Le Phénix à Valenciennes (France)
Jeudi 28 novembre – Maison de la Culture d’Amiens à Amiens (France)
Mardi 19 novembre – Espace 1789 à St-Ouen (France)
Du 13 au 16 novembre – Nanterre-Amandiers à Nanterre (France)
Du 7 au 8 novembre – Bonlieu Annecy à Annecy (France)
Du 17 au 19 octobre – le Lieu Unique à Nantes (France)
Du 11 au 12 octobre – PACT Zollverein à Essen (Germany)
Vendredi 4 octobre – Charleroi danses à Charleroi (Belgium)
Du 10 au 14 septembre – Théâtre de la Ville, Festival d’Automne à Paris à Paris (France)
Du 21 au 25 août – Theater Spektakel à Zurich (Switzerland)
Du 11 au 14 juillet – Athens & Epidaurus Festival à Athens (Greece)Du 12 au 16 mai 2020 – TNB, Centre Européen Théâtral et Chorégraphique à Rennes (France)
Du 5 au 6 mai 2020 – La Manufacture CDCN, Opéra National de Bordeaux à Bordeaux (France)
Mercredi 29 avril 2020 – Centre Chorégraphique National d’Orléans à Orléans (France)
Du 25 au 28 mars 2020 – Kaaitheater à Bruxelles (Belgium)
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