Il était une fois un conte futuriste aux héroïnes adolescentes, une fable imprévisible et déjantée sur le monde de demain pas si loin du nôtre. Avec ce premier spectacle explosif et décalé, Alexandra Cismondi s’adresse à la jeunesse avec le cœur et sans recette pour un résultat insaisissable qui a le charme de la beauté bizarre.
Rarement on aura vu représentation aussi déroutante et brûlante, sur le fil du vertige. A l’image de ce titre sans fin, énigmatique et romantique. Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi est la première création d’Alexandra Cismondi et elle a le goût des premières fois justement, des premiers élans, des premiers émois, le goût des commencements et des afflux sanguins qui donnent le rouge aux joues, le goût des tentatives tout feu tout flamme et des sauts dans le vide, le goût du risque et des basculements qui font passer irrémédiablement d’un avant à un après sans aucun retour en arrière possible. Impossible de résumer cet ovni sans en révéler la trame, ce qui serait dommageable à l’expérience de spectateur.ice. Car le dévoilement progressif qui s’y joue fait partie du plaisir qu’on y prend. Et si l’on met un peu de temps à rentrer dedans, à accepter qu’on ne sait pas où on a mis les pieds, à apprivoiser cette étrangeté familière ou cette étrange familiarité, à s’habituer à la langue, poétique et triviale, cabossée et bizarre, d’une génération qui dégenre à tour de bras, on finit par se laisser embarquer par l’énergie déployée, l’inventivité à l’œuvre dans tous les recoins, des costumes rétrofuturistes aux répliques craquantes, et ce miroir à peine déformé de notre société qu’on se prend en pleine poire.
Et la représentation d’avancer comme un glissement de terrain d’aujourd’hui à demain, de nous renvoyer en pleine face la réalité via une fiction chamarrée, de crier à l’aide derrière une apparente jovialité, de transformer la comédie de la vie en tragédie sous des airs pop et colorés. Alors le kouglof de fête qui trône au centre de la table familiale viendra s’écraser sous une douleur qui n’a pas de nom. C’est un spectacle gourmand qui a les yeux plus gros que le ventre, un spectacle qui a de l’appétit à revendre mais l’estomac noué, porté par un quatuor d’interprètes flamboyants : Anne-Elodie Sorlin et Christophe Paou, alias les parents versus Alexandra Cismondi et Lou Chauvain, alias les deux ados. Au plateau ils sont quatre mais ils sont beaucoup plus aussi car la vie se démultiplie, l’intime se confronte au collectif, l’individu à la société. C’est un spectacle en crise, adolescente, amoureuse et climatique. Tout y est too much, les sentiments, les réactions, les colères et les envies, le langage inclusif, les degrés en trop et le trop de réalité qui frappe l’insouciance d’un âge en plein éclat. A l’écriture et la mise en scène de cette pièce effervescente, Alexandra Cismondi cultive le chaos, l’excès et le culot comme dynamique créative, elle invente un théâtre du futur, ose les dérapages, les apartés, les surprises aussi, tout ce qui peut enflammer la représentation et le public avec. Certaines images s’impriment au feutre indélébile sur la rétine et le frisson gagne du terrain au fur et à mesure qu’on prend conscience de ce qui advient.
Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi évoque la complicité sorore, le poids de la responsabilité de la parentalité, le besoin de faire sa propre expérience pour grandir et de s’opposer, la puissance des amours adolescentes, la déflagration du deuil, l’affrontement générationnel, la communauté du militantisme… Il brasse beaucoup, non sans maladresses parfois mais on lui pardonne tout tant le geste est là, ample, libre, singulier. Un exubérant exutoire. C’est un spectacle qui commence par un début mais aussi par la fin, il y est question d’un anniversaire qui tourne au pire, d’une famille avec un trou dedans, de gens qui s’aiment ou du moins essaient, d’une jeunesse qui traque son avenir et la liberté d’être soi sans entrave, de parents dépassés qui s’accrochent pourtant. Il y a deux sœurs adolescentes qui font leur expérience de la vie, un attentat dans un lycée et un incendie, une pizza partagée sur un banc au lieu d’aller en cours, des réunions militantes éco-féministes, le tout dernier hamster de l’histoire de l’humanité, une bougie qu’on ne souffle pas, du maquillage de camouflage pour esquiver la reconnaissance faciale d’une société qui a remplacé l’IA par Joconde à qui on donne des ordres sans être sûr du résultat. C’est foutraque, vivant, décalé et dans l’air du temps, hyper attachant et perturbant. Ça se passe dans un futur proche qui ressemble à notre présent, c’est inclusif et généreux, ça déborde de partout, ça bouscule et en fin de compte, on réalise qu’on a les larmes aux yeux et la chair de poule sans savoir par où l’émotion s’est infiltrée, par quel canal, par quelle ruse, par quel chemin. Car on a eu l’impression tout du long de faire du hors-piste. Le cœur en apesanteur perforé de sensations fortes imprévisibles et imprévues.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi
texte, mise en scène Alexandra Cismondi
jeu Anne-Elodie Sorlin, Christophe Paou, Lou Chauvain, Alexandra Cismondi
scénographie, lumières Camille Duchemin
costumes Colombe Lauriot Prevost
assistanat à la mise en scène Sylvie Desbois
regard Anne Naudon
stage mise en scène Maeva Rodrigue
collaboration dramaturgique et artistique Guillaume Mika
création sonore Cyril Colombo, Benoît Olive
administration de production Mozaïc – Magali Cousin-Thorez, Shanga Morali
diffusion collectif&compagnie – Estelle Delorme, Géraldine Morier-Genoud
Production Cie Vertiges / coproduction Théâtre du Bois de l’Aune – Aix-en-Provence, Carré Sainte Maxime, Chateauvallon Liberté – scène nationale, La Passerelle – scène nationale de Gap et des Alpes du Sud, Théâtre des Salins – scène nationale de Martigues / avec le soutien du ministère de la Culture – DRAC PACA, région Sud PACA, département du Var, métropole Toulon Povence Méditerranée, ville de La Seyne-sur-Mer, La Chartreuse, Villeneuve-lez-Avignon – centre national des écritures du spectacle, Adami / spectacle accueilli en résidence au Théâtre du Bois de l’Aune, Châteauvallon-Liberté – scène nationale, Théâtre Gymnase – Bernardines, Théâtre National de Nice, Théâtre Paris-Villette, Les Salins – scène nationale de Martigues, Théâtre de Suresnes Jean Vilar / création en janvier 2023 au Liberté, scène nationale – Toulon / texte lauréat de l’aide nationale à la création de textes dramatiques d’ARTCENA.Durée : 1h40
Du 8 au 24 mars 2024
Théâtre Paris Villette
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