
Servane Dècle, dramaturge du spectacle du procès Pélicot, et Milo Rau, producteur et directeur artistique du Festival de Vienne photo AFP Joe Klamar
La dramaturge Servane Dècle et le metteur en scène Milo Rau, directeur artistique du Festival de Vienne, ont présenté la version allemande du Procès Pélicot, qui sera déclinée en français, le 18 juillet, au Festival d’Avignon.
« La façade est solide mais l’intérieur est un champ de ruines »: des comédiens vont lire mercredi soir lors d’une première à Vienne, en Autriche, ces mots de Gisèle Pelicot et d’autres « fragments » du procès rétentant qui a fait de la Française une icône féministe mondiale.
Le metteur en scène Milo Rau a suivi avec attention les débats qui ont ébranlé le tribunal d’Avignon, dans le sud-est de la France, entre septembre et décembre 2024, autour de cette femme droguée et violée pendant des années par son mari et des inconnus recrutés sur internet.
Milo Rau avait déjà prévu d’être présent en juillet au festival d’Avignon mais il lui « semblait étrange de s’y rendre six mois après et de faire une pièce sur La Mouette de Tchekhov ».
L’artiste helvétique de 48 ans s’est donc plongé dans les documents de l’affaire « afin de rendre public le procès3, de le faire sortir des murs de l’enceinte judiciaire. « Comme une sorte de prolongation de l’acte de Gisèle Pelicot » qui, « dans un moment décisif3, a refusé que ses violeurs comparaissent à huis clos.
« Traversée longue »
Un minutieux travail de « reconstruction » a été entrepris avec la collaboration des avocats de la famille pour réunir les différents « fragments » de l’histoire et livrer aux spectateurs autrichiens une nuit de conférences.
Articles et tribunes de presse, cahiers de notes des journalistes, plaidoiries, livres, interviews d’experts, témoignages de féministes… La dramaturge Servane Dècle détaille le processus de recherche.
« C’était un peu un défi de réussir à reconstituer la parole du tribunal », dit-elle, et de dépasser aussi le cadre parfois « frustrant » d’une justice pas armée pour juger autant de personnes.
La performance en allemand réunissant une trentaine de comédiens débute à 21H00 (19H00 GMT) mercredi et doit se dérouler pendant six à sept heures dans une église de Vienne, où les spectateurs auront le droit d’entrer et de sortir librement.
« Une traversée longue pour dépasser le fait divers et pouvoir tirer tous les fils du phénomène sociétal qui se cache derrière », selon la créatrice de 28 ans, de la soumission chimique au viol conjugal, en passant par les abus de l’industrie pornographique et le rôle des technologies.
Derrière cette « logique du crépuscule à l’aube », il y a l’idée d’expérimenter « un traumatisme collectif », « de vivre une nuit ensemble et « peut-être de se réveiller dans un autre monde » , renchérit Milo Rau, insistant sur « l’universalisme » de l’affaire Pelicot mettant en lumière « le patriarcat ».
« Deuxième vague MeToo«
En Autriche, le verdict – 20 ans de réclusion criminelle pour l’ex-mari Dominique Pelicot – a fait la une des journaux, tout comme le jugement à l’encontre de ses 50 co-accusés, « ces Messieurs Tout-le-monde, de tous âges, de tous métiers ou presque« , rappelle le texte lu.
Safira Robens, comédienne d’un grand théâtre viennois, est l’une des principales voix du projet.
Après une préparation « difficile » qui la poursuivait dans son sommeil, elle anticipe un « voyage » qui, admet-elle, peut être « traumatisant » pour le public, avec des descriptions crues des vidéos de viol par exemple.
« J’ai peur des réactions mais le sujet est tellement important que cela en vaut la peine », dit la jeune femme de 31 ans, saluant en Gisèle Pelicot celle qui a fait changer « la honte » de camp.
« Elle a ouvert une porte, initiée une deuxième vague après #MeToo », abonde Servane Dècle.
Cet « hommage à une icône » se déplacera ensuite au cloître des Carmes d’Avignon dans une version raccourcie le 18 juillet, avec, aux côtés d’interprètes du festival, des protagonistes du procès, comme un expert psychiatre ou une dessinatrice de croquis d’audience.
Mais sans Gisèle Pelicot, 72 ans, qui a choisi depuis la fin du procès de garder le silence dans les médias et de livrer par écrit son histoire dans un livre à paraître début 2026 en vingt langues.
Anne Beade © Agence France-Presse
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