Avec Histoire(s) du théâtre II, le metteur en scène et chorégraphe poursuit la réflexion entamée l’an passé, avec excellence, par le patron du NTGent. Accompagné par trois artistes du Ballet National du Zaïre, il livre, à son tour, une leçon de théâtre bouleversante.
Sans le savoir, Faustin Linyekula aura, dans cette 73e édition du Festival d’Avignon, pris l’immédiat contre-pied de Christiane Jatahy. Alors que la metteuse en scène brésilienne avait choisi, au cours de la deuxième partie de son Odyssée, de remplacer le théâtre de chair et d’os par du cinéma, de transformer la scène en no man’s land pour y monter un écran géant, le metteur en scène et chorégraphe en a exploré les moindres recoins, en a puisé toute la force, d’une humanité ravageuse, toute la richesse, d’une simplicité renversante, jusqu’à le sublimer. Chez lui, ce n’est pas Le présent qui déborde, mais bien le passé qui, par le truchement théâtral, transfigure le maintenant, et ce faisant répare le réel.
A l’invitation de Milo Rau, Faustin Linyekula a poursuivi la série Histoire(s) du théâtre, dont le premier volet, La Reprise, présenté l’an dernier par le patron du NTGent, avait pris à la gorge nombre de spectateurs avignonnais. Pour remonter le fil de ses origines avec la même grammaire dramaturgique que le metteur en scène suisse, il a choisi 1974 pour point d’appui. Année de sa naissance, elle correspond aussi à la date de création du Ballet National du Zaïre, cet organe voulu par Mobutu pour célébrer et exacerber l’identité zaïroise, et unifier, par le pouvoir de la culture, les 450 tribus qui composaient le pays. Avec sa première et unique grande oeuvre, L’Epopée de Lyanja, retransmis par la télévision d’Etat, le collectif aura vite acquis une renommée nationale et internationale, et marquer au fer rouge la mémoire des Congolais, dont celle de Faustin Linyekula.
En déshérence depuis 1984, l’année de son dernier spectacle, le Ballet National du Zaïre, renommé le Ballet National de la Compagnie du Théâtre National Congolais, n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même, un vestige du passé, une relique dont des femmes et des hommes font, envers et contre tout, encore partie. Faustin Linyekula a décidé de se lancer à leur recherche et a pu rencontrer trois de ses membres : Marie-Jeanne Ndjoku Masula, Wawina Lifeteke et Ikondongo Mukoko. Après avoir réussi, non sans mal, à leur obtenir des visas, il a tenu à les faire monter sur scène pour leur redonner un nom, un visage, une aura. Eux qui, malgré leur confortable cachet de l’époque aujourd’hui réduit à peau de chagrin, avaient été injustement oubliés dans le générique de L’Epopée de Lyanja, qui restera comme l’oeuvre de leur vie.
Inauguré, dans la veine du plus pur théâtre documentaire, par Oscar Van Rompay, Histoire(s) du théâtre II se laisse, peu à peu, contaminé par l’art théâtral. Sous la houlette de Papy Maurice Mbwiti, truculent et talentueux comédien, lui aussi né en 1974 au Zaïre et marqué par la figure du dictateur Mobutu, ce qui aurait pu se cantonner à une litanie de témoignages se transforme en résurgence du passé et parvient à matérialiser la notion de lobi qui, en congolais, signifie, à la fois, hier et demain. Et c’est là, et bien là, que la magie opère.
Sur le plateau, les trois artistes usés par le temps rejouent des scènes de leur vie – le recrutement de Marie-Jeanne Ndjoku Masula, le rejet familial vécu par Wawina Lifeteke – et sont replongés dans la création de leur premier ballet. Avec une émotion visible, confrontés à des images d’archives, ils réendossent leur rôle de l’époque. Conduite avec finesse et modestie par Faustin Linyekula, la partition est en tout point bouleversante et offre quelques-uns des moments les plus forts de ce 73e Festival d’Avignon. Lorsque Marie-Jeanne Ndjoku Masula entonne, de sa voix d’or, le chant transmis par sa mère, lorsque Wawina Lifeteke s’admire, la larme à l’oeil, à travers l’écran de télévision, lorsque Ikondongo Mukoko empoigne son arc musical pour rejouer, en même temps que son moi du passé, le conteur qu’il incarnait, et lorsque le trio compte les morts et les vivants de la troupe, le temps, autant que nos yeux, se trouble.
Mais il y a plus. Non content de cette performance, Faustin Linyekula exauce, à la toute fin de la représentation, leur rêve commun, celui qu’ils attendaient depuis 35 ans : recréer, enfin, un spectacle. En habits traditionnels, les trois artistes s’avancent alors devant un vulgaire décor en carton pâte et font montre de leur art. Dépassé par son émotion, comme possédé par son envie de théâtre trop longtemps tut, Ikondongo Mukoko s’est, au soir de la première, laissé aller à une improvisation – incompréhensible car non sur-titrée – qui a pris le risque de mettre tout l’édifice en péril. Dans sa maladresse, il a apporté la preuve que le théâtre peut transcender les hommes. Faustin Linyekula n’en espérait sans doute pas tant.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Histoire(s) du théâtre II
Direction artistique Faustin Linyekula
Avec Wawina Lifeteke, Papy Maurice Mbwiti, Marie-Jeanne Ndjoku Masula, Ikondongo Mukoko et Oscar Van Rompay
Assistanat à la mise en scène Papy Maurice Mbwiti
Costumes Ignace Yenga
Stage mise en scène Castélie Yalombo
Vidéo L’Epopée de Lyanja du Ballet National de la Compagnie Théâtre National Congolais (extraits)Coproduction NTGent, Studios Kabako
En collaboration avec le Ballet National de la Compagnie Théâtre National Congolais (Kinshasa), Isaano Positive Production (Kigali)
Avec le soutien de Belgian Tax Shelter, Onda – Office national de diffusion artistique
En partenariat avec France Médias MondeDurée : 1h45
Festival d’Avignon 2019
Cour minérale – Avignon Université
18 19 20 | 22 23 juillet à 22hNTGent, Gand (Belgique)
du 5 au 10 mars 2020, puis les 27 et 28 marsKaaitheater, Bruxelles (Belgique)
les 13 et 14 mars
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