Dans le cadre du Festival d’Automne, la chorégraphe Robyn Orlin monte pour la première fois un texte de théâtre. Elle ne renie pas la danse pour autant : dans son spectacle, elle mêle les arts jusqu’à incruster ses acteurs-danseurs dans le film de Christopher Miles, adapté des Bonnes en 1975. Mais si monter Genet a encore du sens aujourd’hui, est-ce toujours « sulfureux » ?
Les nombreuses analyses des textes de Jean Genet ont mis en évidence la subversion qui a habité l’homme et son œuvre. Geir Uysløkk n’a-t-il pas publié un ouvrage intitulé, à propos de lui, Une écriture des perversions ? Il y explique que l’œuvre de Genet entière est une « déviation des normes », dans le but de les « transgresser et de les terrasser ».
Le théâtre de Genet est plus subtil, dans sa critique de la société, que son œuvre romanesque ou poétique. Ainsi, Uysløkk souligne que les pièces de l’auteur des Nègres sont des « attaques obliques », moins propices à créer le scandale, sans pour autant l’exclure. Car même si Jean-Louis Barrault, lors de la création des Paravents, défend Genet en affirmant que « jamais grand artiste ne cherche à faire scandale », la chercheuse Catherine Naugrette, dans une émission de France Culture sur la question, assure que l’auteur savait très bien ce qu’il faisait.
L’histoire du théâtre se souvient en effet de la création de ces Paravents, dans une mise en scène de Roger Blin, en 1966 à l’Odéon. Après 15 jours de représentation, la place devant le théâtre est la scène d’une manifestation d’extrême droite. Dans ce moment de trouble, la représentation est envahie par les militants de l’Algérie française : le public, comme les acteurs, seront molestés par des fanatiques. André Malraux est sommé d’intervenir. À l’époque, le scandale est provoqué par la proximité chronologique entre le sujet traité – la guerre d’Algérie – et la création de la pièce. En 1983, lorsque Patrice Chéreau travaille à son tour Les Paravents au Théâtre de Nanterre-Amandiers, aucun tumulte ne vient troubler le spectacle.
Les Bonnes n’a pas fait jaillir de scandale à la hauteur de celui provoqué par les Paravents. Dans cette pièce étrange où Genet nous perd dans des jeux de rôles et où il est impossible de distinguer le vrai du faux, l’auteur regrette la mise en scène de Louis Jouvet, en 1947, tombant dans l’écueil de la lutte des classes et dans l’esthétique naturaliste. En effet, c’est le directeur de l’Athénée qui donne sa chance à Genet en le conduisant à remanier sa pièce pour qu’elle puisse être employée en lever de rideau avant une œuvre de Giraudoux. Quelques années plus tôt, Paris a découvert En attendant Godot de Samuel Beckett, La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco arrivera trois ans plus tard.
Le premier public des Bonnes, présent dans la salle pour Giraudoux et non pour Genet, est vaguement scandalisé que des servantes puissent assassiner leur patronne – ce qu’elles ne parviennent pas à faire. En revanche, le succès critique est exceptionnel.
Cela est incontestable : du vivant de Jean Genet, rares étaient les écritures aussi fortes, aussi « profondément dérangeante », pour reprendre le qualificatif choisir par Marie-Claude Hubert en introduction au Dictionnaire Jean Genet. Aujourd’hui cependant, Genet est un auteur classique doté d’une langue aux accents parfois désuets. Plus personne n’est scandalisé par lui, les situations qu’il décrit appartiennent au passé et seule une lecture symbolique de sa prose théâtrale lui donne tout l’intérêt qu’il a sur scène. Le temps a passé, les blessures se sont refermées ou, en ce qui concerne la guerre d’Algérie, se sont déplacées sur d’autres fronts. Genet fait partie du Panthéon littéraire français où, désormais, l’honorabilité le protège de l’opprobre…
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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