La philosophie, le théâtre et ceux qui pratiquent l’un et l’autre sont liés depuis l’Antiquité. Sur la scène théâtrale contemporaine, il est fréquent que des artistes se saisissent de textes de penseurs pour les mettre en scène en écho à une actualité brûlante, tel Sylvain Creuzevault avec Marx ou Goethe. D’autres, comme Christophe Honoré, avec Fin de l’Histoire, font incarner Derrida, Fukuyama ou encore Hegel à leurs acteurs. Et Gilles Deleuze dans tout ça ?
Malgré cette phrase célèbre du philosophe dans son Abécédaire, « rester quatre heures assis sur un mauvais fauteuil (…) ça liquide le théâtre, ça, pour moi », Deleuze s’est intéressé au concept même de théâtre. Il est l’auteur en 1979 d’Un manifeste de moins publié aux Éditions de Minuit après le Richard III de Carmelo Bene dans l’ouvrage Superpositions. Plusieurs thèses soutenues ou ouvrages publiés ces dernières années abordent également la proximité entre le philosophe et l’art dramatique. Flore Garcin-Marou évoque deux visions du théâtre qui traversent, dans des directions différentes, Gilles Deleuze et Félix Guattari, par ailleurs collaborateurs auctoriaux. Jean-Frédéric Chevallier souligne l’intérêt de Deleuze pour le théâtre à travers trois de ses écrits, dont le dernier conclut une suite de pièces de Samuel Beckett. Ismaël Jude va même jusqu’à s’attaquer à la notion de « dramatisation » abordée par Deleuze dans Différence et répétition.
Malgré cet intérêt scientifique, ce ne sont pas les écrits de Deleuze qui sont le plus montés au théâtre, mais bien le verbe de l’homme. Sa façon de parler n’est-elle pas en soit théâtrale ? L’Abécédaire de Gilles Deleuze diffusé sur Arte dès 1995 a inspiré Bérangère Janelle qui s’est emparée de la lettre « Z comme Zigag », et plus récemment la compagnie toulousaine Méga Super Théâtre a monté des « conversations posthumes » en 2016. « Est-ce que c’est du théâtre ou de la philosophie ? » explique la metteuse en scène. « C’est du théâtre qui fabrique en direct de la pensée en mouvement, inspiré par la Pensée Deleuze. Sur le plateau il s’agit d’inventer le théâtre comme un territoire où l’on peut penser à voix haute et en « collectif » lors d’un cours avec Gilles & Gilles. »
Les cours du philosophe donnés à l’Université de Vincennes dès la fin des années 70 ont inspiré Robert Cantarella quand, au début des années 2010, il commence à « faire le Gilles comme on fait l’idiot » à la Ménagerie de Verre puis au Festival d’Avignon. Le metteur en scène est fasciné par Deleuze. « Je n’ai pas assisté à ces cours. J’ai, comme beaucoup, découvert d’abord l’écriture, puis la voix de Deleuze, dans ce sens-là. La voix, comme moyen de transport m’a souvent facilité la compréhension, je dirai justement la sensation d’une idée, et surtout du chemin de son développement. C’est en jouant avec sa voix que peu à peu je me suis pris à le dire, puis à en faire une copie exhaustive. » C’est à présent au tour de Cédric Orain de proposer son clin d’œil à l’Abécédaire avec D comme Deleuze.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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