D’après Les Suppliants, un texte coup de poing, d’Elfriede Jelinek sur la crise migratoire que traverse l’Europe, Guy Cassiers signe une mise en scène interdisciplinaire, une pièce chorale avec vingt artistes sur scène, des comédiens et danseurs qui, dans l’esthétique froide et formaliste qu’on lui connaît, donnent corps et vie aux réfugiés du monde sur la scène du Parc des expositions au Festival d’Avignon.
A sa création, à Vienne, la pièce de Jelinek a ulcéré le public bourgeois du Burgtheater. Accueillie au festival d’Avignon, elle s’est déroulée comme une traversée tranquille, et même parfois ennuyeuse. D’où vient qu’un texte aussi bousculant ne suscite pas le choc escompté ? Le travail que propose Guy Cassiers ne rend pas compte de toute la richesse du matériau textuel d’origine drastiquement coupé et ce qu’il en garde est restitué avec froideur, distance et solennité aux antipodes du ton épidermique de l’auteure autrichienne.
Cette pièce puissamment actuelle et dénonciatrice, a été écrite avant la dernière grosse vague de migration qui a frappée l’Europe en 2013 par un Prix Nobel de littérature qui se faisait une fois de plus la cinglante prophétesse des maux et de crises que traverse notre société. Elle fait s’élever des voix trop peu entendues et souvent occultées. Celles des migrants, des réfugiés, demandeurs d’asile débarqués au péril de leur vie sur un territoire méprisant et inhospitalier.
La pièce s’ouvre sur l’évocation du voyage, d’un bateau brinquebalant vers la Grèce, puis se prolonge sur l’accostage et l’impossible intégration face à la peur et au rejet impitoyables des populations. Comme dans un tableau vivant, ces hommes et ces femmes n’ont pas de visages, pas d’identités. Ils n’existent que sous la forme d’une horde massive et mouvante. Tandis que les comédiens se présentent davantage comme des commentateurs, des récitants, le groupe de danseurs issus du Conservatoire royal d’Anvers où Cassiers dirige son propre théâtre, le Toneelhuis, se constitue d’interprètes puissants. Chorégraphiés par Maud le Pladec, leurs mouvements sont ceux d’une foule indistincte (sentiment redoublé par les costumes unisexes) soumise à la promiscuité des corps, entassés, bousculés, comme partis à la dérive où jonchés au sol, la seule chose qui leur appartient. Ils déploient une énergie de survie dans des évocations picturales de radeau ou à l’occasion d’une rave incandescente.
La très belle et très noire scénographie de Tim van Steenbergen fait défiler sur des écrans aux dimensions variables des images disparates d’informations tel un flux illisible qui interroge de manière pertinente les limites du regard que l’on porte sur le drame politique et humain et l’impuissance à réellement montrer la souffrance et susciter la compassion.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Grensgeval (Borderline)
Texte Elfriede Jelinek / Traduction Tom Kleijn
Mise en scène Guy Cassiers
Chorégraphie Maud Le Pladec
Dramaturgie Dina Dooreman
Scénographie, costumes Tim van Steenbergen
Lumière Fabiana Piccioli
Vidéo Frederik Jassogne
Son Diederik De Cock
Avec Katelijne Damen, Abke Haring, Han Kerckhoffs, Lukas Smolders
Et les danseurs Samuel Baidoo, Machias Bosschaerts, Pieter Desmet, Sarah Fife, Berta Fornell Serrat, Julia Godina Llorens, Aki Iwamoto, Daan Jaarsveld, Levente Lukacs, Hernan Manchebo Martinez, Alexa Moya Panksep, Marcus Alexander Roydes, Meike Stevens, Pauline van Nuffel, Sandrine Wouters, Bianca Zueneli
Production Toneelhuis
Coproduction Festival d’Avignon, Le Phénix Scène nationale de Valenciennes, Centre chorégraphique national d’Orléans, La Filature Scène nationale de Mulhouse, Centre dramatique d’Orléans / Scène nationale d’Orléans
En collaboration avec le Conservatoire royal d’Anvers formation danse AP Hogeschool
Avec le soutien de la Ville d’Anvers, l’Onda pour la 71e édition du Festival d’Avignon
Les Suppliants de Elfriede Jelinek, traduction Magali Jourdan et Mathilde Sobottke, est publié aux éditions de L’Arche
durée 1h15
spectacle en néerlandais surtitré en français18 19 20 | 22 23 24 JUILLET
À 18H
PARC DES EXPOSITIONS – AVIGNON
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !