Frédéric Jessua et sa troupe montent une comédie rare de Shakespeare. Fidèle et irrévérencieux à la fois, Tout est bien qui finit bien plonge la liberté provocatrice de l’auteur anglais dans l’esprit de notre époque, produisant un théâtre élisabéthain pur jus aux allures de fake.
On dirait de la parodie de Shakespeare et pourtant c’est bien du Shakespeare. Rien de négatif dans ce constat. Au contraire. Frédéric Jessua a exhumé une comédie très peu jouée de l’auteur anglais, Tout est bien qui finit bien, et, avec Vincent Thépaut, l’a traduite et adaptée. Modernisation du texte et de la scène pour une œuvre inspirée d’une nouvelle de Boccace, du licencieux et coquin Décaméron, cette comédie s’écarte des modèles, des patrons de l’auteur anglais. À tel point qu’on en attribue parfois la copaternité à Thomas Middeleton, nous dit Wikipédia. Résultat, on est sorti de là en se disant : c’est habile, sur un fil entre pastiche et parodie, avec le style shakespearien, sa beauté, ses métaphores, ses formules frappantes bourrées d’antithèses et d’images saisissantes, et, en même temps, jamais complètement pris au sérieux, souvent au bord de s’en moquer, quand ça ne verse pas dans le grand-guignol. Un exemple : le prince florentin est costumé en conducteur de Ferrari modèle Formule 1, bruits de fond de course auto avec moteur qui rugit. Et tout est dans le même esprit : entre hommage à la liberté de ton de l’auteur anglais et liberté appliquée à soi-même, qui permet de prendre ses distances et d’avoir une forme de dérision vis-à-vis du monstre sacré.
Sur un fil donc, avec l’équilibre tenu tout du long, la troupe menée par Jessua nous embarque dans les aventures du Prince Bertrand, qui refuse de se marier avec Hélène, qui finira par lui passer la bague au doigt grâce à un polichinelle dans le tiroir conçu malgré lui. Histoire de cruautés amoureuses, de désir insurmontable et de subterfuge sexuel qui se double de vagues intrigues politiques du temps de François Ier, trop clichées pour qu’on les prenne vraiment au sérieux, Tout est bien qui finit bien mène son histoire tambour battant d’une cérémonie funéraire très drôle en ouverture à un enterrement où la morte revient doublement à la vie puisqu’elle est enceinte. Tout est bien qui finit bien, donc : on est passé de la mort à la résurrection, mais le tout s’achève quand même sur un mariage forcé, et l’image d’Épinal des deux amoureux qui tournent en rond comme dans une valse ouvrant le bal est bien ambigüe. Sur un fil, c’est sans doute l’un des mérites de ce texte, celui de ne jamais laisser le spectateur en repos quant à savoir quoi penser de ce qu’il voit. Si c’est du lard ou du cochon.
Côté scène, tout est du même acabit. Panneaux mobiles que les interprètes manipulent à moitié cachés à moitié à vue, tournette actionnée en direct, chansons et chorégraphies à moitié foireuses, Jessua actionne la théâtralité de tréteaux à la Shakespeare, avec un esprit de déconne sans cesse réaffirmé. Souvent face public, les acteur·rices, tous·tes, ou presque, anciens du Cons’, jouent autant qu’ils surjouent, font valoir l’intention et le sous-texte d’un même mouvement, font croire à la situation autant qu’ils en soulignent l’artificialité. C’est énergique, amusant et inventif, toujours en mouvement. Même si on aurait aimé davantage de ruptures, davantage de variété, histoire de reprendre son souffle par endroits, Tout est bien qui finit bien, on peut dire que c’est bien, sauf quand c’est fini.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Tout est bien qui finit bien
Texte William Shakespeare
Traduction Frédéric Jessua, Vincent Thépaut
Mise en scène Frédéric Jessua
Avec Félicité Chaton, Céline Laugier, Raouf Raïs, Charles Van de Vyver, Rony Wolff, Léna Tournier Bernard, Enzo Houzet, Vincent Thépaut
Dramaturgie Vincent Thépaut
Création lumières Diane Guérin
Scénographie Charles Chauvet, Frédéric Jessua
Costumes et accessoires Julie Camus
Décor construit et peint aux ateliers Crèvecoeur (27) par Emilie Gottmann, Zoé Logié de Marsan, Charles Chauvet, Enzo Houzet, Frédéric Jessua, Vincent Thépaut
Construction tournette Eric Szczuczynski
Maquillage et coiffures Pauline Bry
Chorégraphies Georgia Ives
Musique originale Richard Le Gall
Assistanat Clémence Ribereau
Habillage Korika CoulibalyProduction la BOITE à outils, avec le soutien de la Fondation René Sando
Coproduction Théâtre 13
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Coréalisation la BOITE à outils ; Théâtre 13
Avec l’Aide à la résidence du Moulin de l’Hydre, du Théâtre de l’EchangeurDurée : 1h50
Théâtre 13 / Bibliothèque, Paris
du 13 au 23 mai 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !