La Compagnie « La Part de l’Ombre » s’empare de « L’Adversaire » d’Emmanuel Carrère pour en tirer une adaptation très théâtrale d’une histoire incroyable : celle de Jean-Claude Romand, auteur du meurtre de sa femme, ses enfants et ses parents pour qu’ils ne découvrent pas la vérité sur la réalité de son existence.
En 1993, Jean-Claude Romand tue sa femme, ses enfants et ses parents. Son entourage est abasourdi, autant par l’incompréhension de son geste que par la vérité qui éclate sur la vie de cet homme : depuis 18 ans, il mentait sur son existence. Le matin, lorsqu’il partait travailler, il n’allait nulle part. Est-ce parce que sa famille était proche de découvrir la vérité qu’il les a tous massacrés ? « L’Adversaire » ne met pas en scène le fait divers : c’est une adaptation du roman d’Emmanuel Carrère inspiré par cette histoire.
Carrère n’est pas Koltès lorsqu’il adapte Roberto Zucco. Il ne raconte pas brutalement les faits, mettant son écriture au service de l’énonciation de l’indicible. Il accepte d’observer sa fascination, ses questions annexes qui deviennent primordiales et laisse ainsi la place à tous les points de vue, avant, après, pendant le procès, et autour. Vincent Berger et Frédéric Cherboeuf, dans leur adaptation, parviennent à retranscrire cette richesse d’horizons sans rester collés au roman pour véritablement créer du théâtre.
Une multitude de points de vue rendue possible par le travail d’orfèvre de Jean-Claude Caillard à la scénographie et la lumière. Appartement en cours de déménagement, tribunal, paysage mental et réaliste, les meubles couverts de draps blancs semblent parfois devenir des fantômes aux lueurs des bougies et au son du piano, le tout magnifié par la structure architecturale minérale du Théâtre de la Villette.
Dans ce cadre mi-manoir, mi-perchoir, les comédiens évoluent superbement. Rares sont les créations où tout est d’une si belle homogénéité. Chaque rôle est marqué, juste et prenant. Une mention particulière à Vincent Berger qui est à la fois Carrère et Romand, passant de l’un à l’autre en enfilant des lunettes et se courbant : la part d’ombre de l’humain apparaît sous les feux de la rampe.
En tout point, « L’Adversaire » est fascinant. Le défilé des témoignages dessine une vie incroyablement fausse. Le spectateur est à la fois dans la réalité et dans ses coulisses. Conduit par les questions du romancier, on s’autorise à partager l’excitation d’Emmanuel Carrère, qui en tant qu’écrivain n’est pas soumis au carcan moral qui voudrait que l’on regarde cette affaire avec un œil réprobateur. Le génie de cette adaptation réside aussi dans la façon de faire passer la critique de la fascination mortifère dans le visage de certains personnages, comme Marie-France, visiteuse de prison, qui pense avoir reconnu Jésus en Jean-Claude.
Alors pourquoi montrer ça ? On est face à une incroyable tragédie où le héros est la vérité : inlassablement assaillie, bafouée, elle triomphera forcément face au mensonge. L’histoire de Romand ne fait pas envie, à aucun moment le public est invité à lui pardonner. Le mystère demeure. On est bouche bée qu’une telle histoire soit possible, la réalité dépasse la fiction et n’en devient que plus passionnante.
Hadrien VOLLE – www.sceneweb.fr
L’adversaire d’après l’ouvrage d’Emmanuel Carrère P.O.L Editeur, 2000
mise en scène : Frédéric Cherbœuf
adaptation : Vincent Berger et Frédéric Cherbœuf
avec : Vincent Berger, Camille Blouet, Jean De Pange, Gretel Delattre, Alexandrine Serre, Maryse Ravera
et en alternance Frédéric Cherbœuf, Volodia SerreThéâtre Paris Villette 16 – 26 mars 2016
Du mardi au jeudi à 20h, vendredi et samedi à 19h, dimanche à 16h (relâche lundi)Théâtre des Quartiers d’Ivry – Studio Casanova 29 mars – 08 avril 2016
mardi, mercredi, vendredi à 20h. samedi à 18h et dimanche à 16h
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