Le Karamazov enflammé de Frank Castorf

Franck Castorf Les Frères Karamazov © Thomas Aurin

Le berlinois Frank Castorf est de retour en France. Son adaptation de Karamazov de Dostoïevski fait l’ouverture du 45ème Festival d’Automne dans la friche Babcock de La Courneuve, lieu éphémère de la MC93 pendant ce début de saison pour trois spectacles. Une pièce passionnante emmenée par des comédiens d’exception.

Une scène de 156 m de long sur 57 m de large ! Un terrain de jeu prodigieux pour un metteur en scène. La friche Babcock (ancienne fabrique de chaudières industrielles) dénichée par Hortense Archambault, la nouvelle directrice de la MC93 à Bobigny est un lieu magique pour faire du théâtre. Les comédiens et les techniciens (ainsi que la souffleuse de la Volskbühne) courent partout pendant ce marathon théâtral de 6h30 – y compris à l’extérieur du bâtiment.

Frank Castorf nous tient en haleine et pourtant les comédiens sont très peu présents sur scène face au public. Le scénographe Bert Neumann a construit une sorte de petite ville dans cet environnement industriel avec des petites maisons, un bassin d’eau, un jardin d’hiver et de longs couloirs cachés par des palissades en bois. Plus de 80% de l’action se déroule dans l’intimité à l’abri du regard des spectateurs. Les comédiens sont suivis en permanence par deux caméramans et les images sont retransmises et réalisées en direct sur un écran au centre de l’espace. Et cela fonctionne à merveille.

Les comédiens sont toniques. Aliocha est virevoltant. Daniel Zillmann – tout en rondeur – est d’une légèreté inouïe. Jeanne Balibar passe du rôle de Zosime le starets à celui du Diable avec une aisance déconcertante. Le séminariste Rakitine, ami d’Aliocha – Patrick Güldenberg – est magnifique dans ce rôle secondaire plein d’humanité et de raison. Quant au gros morceau de l’œuvre de Dostoïevski : la scène du Grand Inquisiteur, il est fort justement placé après l’entracte. Ivan (Alexander Scheer) le joue à l’extérieur dans une nacelle qui surplombe La Courneuve baignée par le soleil couchant. C’est prodigieux d’inventivité. Et surtout on ne perd pas une miette du sens de ce monologue sur l’impasse dans laquelle peut mener la religion lorsqu’elle est manipulatrice.

Frank Castorf décrit avec une acuité parfaite les passions et les sentiments entre tous ces personnages exaltés et enragés. La dramaturgie nous fait sortir de la Russie du 19ème siècle pour se fondre dans la Russie de Poutine. C’est une fresque politique, historique et philosophique sur le devenir de la Russie. Il met en exergue le fameux mot « nadryw » souvent utilisé dans le roman de Dostoïevski pour évoquer l’exaltation des émotions. Son dramaturge Sebastien Kaiser s’est également appuyé sur le livre Exodus de l’activiste antifasciste russe Petr Silaev surnommé DJ Stalingrad, membre des skinheads rouges qui évoque la montée du nationalisme en Russie.

On regrette toute de même certaines longueurs dans la deuxième partie, la fatigue se faisant sentir, certaines scènes avec la jeune fille handicapée Lisaveta sont un peu éprouvantes d’autant qu’elle s’exprime le plus souvent en russe et que ses propos ne sont pas traduits. Mais Frank Castorf donne une sacrée leçon de théâtre énergisante.

Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr

Frank Castorf
Les Frères Karamazov
de Fédor Dostoïevski
Mise en scène, Frank Castorf
Avec Hendrik Arnst, Marc Hosemann, Alexander Scheer, Daniel Zillmann, Sophie Rois, Kathrin Angerer, Lilith Stangenberg, Jeanne Balibar, Patrick Güldenberg, Margarita Breitkreiz, Frank Büttner
Scénographie, Bert Neumann
Costumes, Bert Neumann
Lumière, Lothar Baumgarte
Caméra, Andreas Deinert, Mathias Klütz, Adrien Lamande
Montage en direct, Jens Crull
Musique, Wolfgang Urzendowsky
Son, Klaus Dobbrick, Tobias Gringel
Perche, William Minke, Dario Brinkmann
Dramaturgie, Sebastian Kaiser
Coproduction Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin) ; Wiener Festwochen // Coréalisation – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis (Bobigny) ; Festival d’Automne à Paris // Avec le soutien de La Courneuve et Plaine Commune // Avec le soutien de l’Adami // Spectacle créé le 29 mai 2015 au Wiener Festwochen // En partenariat avec France Inter
1ère partie: 2h45
2ème partie: 3h15

Festival d’Automne 2016
La MC93 à la Friche industrielle Babcock
7 au 14 septembre 2016