Emmanuel Noblet adapte le roman de Denis Michelis et offre un écrin tout en subtilité à François Cluzet, 25 ans après sa dernière apparition sur les planches.
Sur le papier, les recettes se suivent et se ressemblent. Après avoir adapté Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, qui lui valut en 2017 le Molière du seul en scène, ou plus récemment Article 353 du code pénal de Tanguy Viel, Emmanuel Noblet se penche sur un autre texte à succès : Encore une journée divine de Denis Michelis. Un drame tragi-comique qu’il offre à François Cluzet pour son retour sur scène après vingt-cinq ans d’absence. Comme il nous l’a montré en dirigeant Vincent Garanger dans sa dernière création, force est de constater qu’Emmanuel Noblet excelle à imaginer les écrins les mieux adaptés pour mettre en valeur des comédiens en pleine possession de leurs moyens.
Seul entre les murs blancs et vitrés d’une chambre percée d’une porte irrémédiablement close, François Cluzet incarne Robert, un psychiatre reconnu, aux prises avec une « légère dépression hivernale » – selon ses propres termes –, qui se retrouve lui-même interné dans un hôpital psychiatrique. Ne voyant pas du tout ce qu’il fait ici, Robert va tout faire pour tenter d’en sortir, en essayant de convaincre le psychiatre chargé de son internement et l’infirmière qui l’accompagne. Mais de quoi Robert est-il réellement coupable ? On pourrait s’y laisser prendre : vieux monsieur un peu bedonnant au souffle court, en veste de tweet et mocassins, il paraît, à première vue, gentiment à l’ouest.
Mais, petit à petit, il va se révéler passablement mythomane, soi-disant auteur d’un best-seller intitulé, en toute modestie, Changer le monde. Impliqué dans la résolution de l’énigme qui se déroule sous ses yeux, autant que dupé par les manipulations d’un professionnel de la supercherie – ou du déni, on ne sait plus trop –, le spectateur voit s’installer le doute en lui au fur et à mesure des circonvolutions du quotidien de l’hôpital et des obsessions de Robert – qui concernent essentiellement ses camarades de chambrée. Les incohérences s’accumulent, avant de laisser place à un véritable malaise. Persuadé du bien-fondé de ses méthodes cliniques révolutionnaires, Robert s’avère, en réalité, un fervent détracteur de « l’écoute bienveillante », notion qu’il déteste autant que celle de lyrisme ou toute autre forme de poésie. Il s’adonne même à des conseils plutôt radicaux pour régler les soucis de ses patients.
Au fur et à mesure de notre découverte psychanalytique de Robert, se déroule devant nos yeux, implacable et féroce, un drame familial subtilement grinçant, qui évite d’être totalement cynique grâce à la grande nuance de jeu que François Cluzet y apporte. Moins gourou fanatique que le texte seul pourrait le faire penser, le personnage principal se révèle ici paradoxalement attachant, involontairement sournois et poétique, peint tout en nuances par les aplats successifs que François Cluzet déploie avec une facilité déconcertante. Le comédien distille avec parcimonie et beaucoup de finesse la colère, la douleur et la solitude pour effleurer du dos de la main, et sans jamais d’exubérance, la naissance de la folie humaine.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Encore une journée divine
d’après le roman de Denis Michelis
Adaptation et mise en scène Emmanuel Noblet
Avec François Cluzet
Scénographie Alain Lagarde
Lumières Dominique Bruguière, assistée de Pierre Gaillardot
Costumes Fanny Brouste
Son Samuel Favart-Mikcha, assisté de Mikaël Kandelman
Assistantes mise en scène & répétitrices Pénélope Biessy, Sandra ChoquetProduction 984 Productions
Coproduction Les Théâtres – Jeu de Paume (Aix-en-Provence) ; La Bande SpectacleDurée : 1h30
Théâtre des Bouffes Parisiens
du 25 janvier au 18 avril 2025
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