Dans le cadre du festival d’automne, Anne Teresa de Keersmaeker et Némo Flouret proposent au Louvre un dialogue inégalement saisissant entre les peintures exposées et les danseurs qui s’en font les répliques.
Pénétrer et déambuler dans les longues galeries du Louvre à l’heure où le lieu a déjà fermé et s’est délesté de sa cohue de visiteurs, c’est profiter de découvrir le musée et ses toiles dans un calme totalement inespéré. Dans cette atmosphère silencieuse et apparemment tranquille, se laissent rencontrer de jeunes danseuses et danseurs, gisants au sol, dispersés, comme absorbés par un profond sommeil. Les corps et les esprits vont lentement s’éveiller. Après cette longue entrée en matière, les interprètes se placent devant des pièces maîtresses minutieusement sélectionnées dans la collection de peintures italiennes et françaises. Chacun d’entre eux se livre au jeu de reproduire un ou plusieurs éléments du tableau, parfois juste un détail, une pose, un regard, une expression. Les figures de la Renaissance peintes par Véronèse, Vinci, Titien, Caravage, se voient soudainement incarnées par des jeunes gens au physique bien d’aujourd’hui qui leur donnent vie. Ce jeu subtilement mimétique est étonnant de la part d’une chorégraphe dont l’audacieux langage n’a jamais laissé place à la figuration ou à l’illustration. Le geste est souvent beau, il touche, mais paraît néanmoins littéral et même parfois appuyé.
Anne Teresa de Keersmaeker a pris l’habitude d’investir régulièrement les musées pour y présenter des créations in situ. Les 5 000 mètres carrés de l’aile Denon semblent plus écrasants et surdimensionnés que les autres lieux déjà visités. Le Louvre réclame l’endurance des interprètes, jetés à corps perdus en solo, en duo, ou lors de plus rares mouvements d’ensemble bienvenus même si pas toujours suffisamment maîtrisés, comme celle des spectateurs qui l’arpentent indéfiniment en cherchant à poser le regard sur les micro-performances furtives et fuyantes qui lui sont proposées.
Seuls ou ensembles, à la manière d’une horde énervée ou désolée, les danseurs forment une vibrante vague humaine de corps éprouvés, désorientés, semi-dénudés, partant à la dérive, semblables aux révoltés et accablés figurant sur La Liberté guidant le peuple de Delacroix ou du Radeau de la méduse peint par Géricault. Ils parviennent à exacerber toute la beauté et la vulnérabilité contenues dans ces œuvres entre autres. Traversée de tempête et de déluge, Forêt fait écho aux chaos de tous les temps en donnant à voir des naufragés d’hier et d’aujourd’hui entre désolation et combativité. D’abord camouflés sous des vestes, des capuches, des anoraks, les interprètes égrènent petit à petit leurs vêtements et baskets, manipulent de lourds morceaux de tissus qu’ils font claquer au sol ou s’en revêtent comme des couvertures de survie. Ils se laissent contempler à leur tour comme un tableau qui dépeint une fragile humanité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Forêt
Concept et chorégraphie, Anne Teresa De Keersmaeker, Némo Flouret
Avec Boštjan Antončič, Lav Crnčević, José Paulo dos Santos, Synne Elve Enoksen, Rafa Galdino, Tessa Hall, Mariana Miranda, Margarida Ramalhete, Cintia Sebők, Jacob Storer, Solène Wachter
Dramaturgie, Thomas Birzan
Bande son, Alain Franco
Costumes, An D’Huys
Assistant de répétition, Michaël Pomero
Recherche, Lieze EnemanProduction, Rosas
Coproduction Musée du Louvre (Paris) ; Festival d’Automne à Paris
Avec le soutien du Tax Shelter du gouvernement belge, en collaboration avec Casa Kafka Pictures – Belfius
Coréalisation Musée du Louvre (Paris) ; Festival d’Automne à Paris
Avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & ArpelsRosas bénéficie du soutien de la Communauté Flamande et de la Fondation BNP Paribas.
Durée : 2h30
Festival d’Automne à Paris
Musée du Louvre
23 Novembre au 10 Décembre 2022
Mer, jeu. et sam. En continu de 19h à 21h30, relâche lun. mar. ven. et dim.
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